Le 24 novembre 2018, le Rouennais Matthieu Tordeur entamait un voyage de 51 jours en Antarctique en solitaire et sans assistance. Une aventure que l’explorateur raconte aujourd’hui dans un livre, Le Continent Blanc, publié le 5 novembre 2020. Il revient pour Pioche sur cette expérience hors du commun, témoigne de la situation climatique au pôle Sud et fait l’éloge d’un nécessaire retour à la lenteur.
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Il est à ce jour le plus jeune membre de la Société des explorateurs français. Surtout, Matthieu Tordeur est le premier Français à avoir rejoint le pôle Sud en solitaire, en autonomie et sans assistance. Une aventure incroyable que le Rouennais partage dans le documentaire Objectif pôle Sud et dans un livre, Le Continent Blanc, publié aux éditions Robert Laffont le 5 novembre dernier.
Ce voyage, c’est avant tout un rêve d’enfant. Celui de découvrir à son tour le pôle Sud, 117 ans après le Norvégien Roald Amundsen, premier humain à avoir atteint cette extrémité du globe. Une expérience qui fait de Matthieu Tordeur le témoin de « l’extrême fragilité » de l’Antarctique, victime du réchauffement climatique.
Vous avez publié, le 5 novembre 2020, Le Continent Blanc, un livre revenant sur votre périple de 51 jours en Antarctique, en solitaire et sans assistance, effectué en 2018. Deux ans plus tard, quel regard portez-vous sur cette expérience ?
Matthieu Tordeur : Je me sens extrêmement chanceux d’avoir vécu cette expédition incroyable. L’Antarctique, c’est un rêve d’enfant. Ce territoire propice à l’exploration m’a toujours fasciné. Avec le recul, cette expérience m’a surtout ouvert les yeux sur l’extrême fragilité de ce continent et sa nécessaire conservation.
Le 19 novembre 2018, vous atterrissez en Antarctique, au camp Union Glacier. Quel souvenir gardez-vous de cette arrivée ?
J’avais tellement rêvé de ce moment. Enfin, j’y étais
Arriver sur ce continent n’est pas une mince affaire. Je suis parti de Punta Arenas, la ville la plus au sud du Chili, pour rejoindre l’Antarctique. J’étais dans un avion cargo, sans hublot. On vole à l’aveugle, ballotté dans tous les sens. Au bout de 4h15 de vol, nous avons atterri sur une piste de glace. La porte s’est ouverte, et un flux d’air glacé s’est engouffré dans l’appareil. Je ne voyais pas l’Antarctique que déjà je le ressentais. En sortant, j’avais l’impression d’être au paradis. J’avais tellement rêvé de ce moment. Enfin j’y étais.
Je suis resté quatre jours sur ce campement, attendant que les conditions météorologiques s’améliorent. Puis, j’ai été déposé à Hercules Inlet, le point de départ de mon expédition en solidaire.
Le 24 novembre, vous chaussez vos skis et débutez un périple long de 1 150 km. Vous racontez avoir été marqué par des conditions climatiques que vous n’aviez pas forcément anticipées…
En effet, cette expédition ne s’est pas passée comme prévu. Dès le départ, la température était beaucoup plus douce que prévue. La neige s’est ramollie et je me suis épuisé à tirer mon traîneau de 115 kilos dans 30 ou 40 centimètres de neige. Par ailleurs, le sixième jour, je suis tombé dans le « whiteout », cet épais brouillard qui fait se confondre la neige et le ciel.
Nous étions sept à tenter l’aventure en solitaire, et nous ne sommes que deux à être arrivés. La nature de l’expédition était compliquée, mais les contraintes supplémentaires ont accentué les difficultés.
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Finalement, vous arrivez sur la base scientifique Amundsen-Scott le 13 janvier 2019. Comment avez-vous vécu ce moment ?
L’arrivée a été un très grand moment. J’ai ressenti un mélange de sensations difficilement descriptible. J’étais euphorique à en pleurer, fier d’avoir réalisé ce rêve d’enfant que je préparais depuis plusieurs années. Mais, dans le même temps, je ressentais une forme de mélancolie. Toute ma vie, j’ai pensé à l’Antarctique. Ce rêve, qui avait pris le dessus sur tout le reste, je le réalisais enfin. J’étais face à un nouvel inconnu : celui de renouveler mes objectifs.
Au moment de préparer votre voyage, vous disiez vouloir faire « l’expérience de la lenteur ». À une époque où nous voulons toujours plus, plus vite, avons-nous oublié comment faire pour ralentir ?
Nous avons complètement brouillé notre rapport à l’espace et au temps
Tout à fait. Nous avons complètement brouillé notre rapport à l’espace et au temps. Aujourd’hui, on rejoint l’Australie en 20 heures en restant dans un avion, on envoie des robots sur Mars, des hommes sur la Lune. Chacun peut commander de la bouffe en restant dans son canapé et la recevoir devant sa porte 30 minutes plus tard. On perd parfois les pédales et, surtout, le sens du réel.
J’avais envie de reprendre pied dans ce monde qui nous échappe et nouer une nouvelle relation avec le temps et l’espace. La marche permet de se reconnecter à l’environnement qui nous entoure mais également de s’imprégner de l’instant et de la nature. Aujourd’hui, certains traversent l’Antarctique en 4×4. Ça n’a aucun sens.
En plus de l’Antarctique, vous avez également fait l’Inde à moto, l’Argentine en stop, relié la Chine au Pakistan à vélo ou encore fait le tour du monde en 4L. Quelle est la prochaine étape ?
Je n’ai pas encore trouvé la suite. On pourrait penser que je suis un boulimique de l’aventure, ce qui n’est pas totalement vrai. Une aventure en amène une autre, tout n’est pas calculé. Ce qui est certain, c’est que je souhaite désormais faire des expéditions qui me dépassent. J’aimerais me mettre au service des autres, me battre pour faire avancer les choses, notamment sur les sujets environnementaux.
Au regard des différentes expéditions que vous avez mené, quel est justement votre sentiment vis-à-vis des nombreux enjeux écologiques auxquels nous sommes confrontés ?
C’est une question difficile pour moi. J’ai été le témoin de certaines évolutions climatiques qui, logiquement, devraient me pousser à arrêter d’organiser des expéditions dans certaines régions à l’autre bout du monde. C’est presque schizophrénique.
Partir deux semaines en Thaïlande en juillet, c’est quand même moins excitant que de descendre la Loire en kayak avec ses potes
Néanmoins, je me sens utile lorsque je raconte mes aventures et montre concrètement les risques environnementaux qui pèsent sur certaines régions du monde. J’interviens, par exemple, dans des écoles pour transmettre cela. Je ne suis pas climatologue, mais je peux rapporter des images, des témoignages, raconter mon expérience. Lors de mon voyage en Antarctique, il a fait -15° pendant trois semaines alors qu’il devait faire -35°. Je me dois de témoigner de cela, d’alerter les gens.
Enfin, j’encourage tous ceux qui veulent vivre l’aventure à regarder près de chez soi et tenter la micro-aventure. Partir deux semaines en Thaïlande en juillet, c’est quand même moins excitant que de descendre la Loire en kayak avec ses potes. J’essaie de sensibiliser au maximum les plus jeunes à cela.
Lors d’une conférence en 2018, vous disiez être plus animé par la peur du regret que la peur de l’échec. Quel conseil donnez-vous à ceux qui, aujourd’hui, hésitent à se lancer ?
C’est normal d’hésiter, de prendre le temps. Le plus dur, ce n’est pas de changer de job, c’est de prendre la décision de changer de job. C’est comme traverser l’Europe à vélo. Le plus dur, c’est le premier pas. Ensuite, c’est une mécanique qui se met en place.
Il ne faut pas oublier de se poser les bonnes questions : est-ce qu’on a envie de vivre toute sa vie avec des regrets ? Si c’est pour générer une frustration, mieux vaut se lancer. Enfin, il faut rêver grand mais commencer petit. Parfois, on reste bloqué parce que le rêve est trop grand, il nous rend inertes. Si ce rêve nous bloque, il ne faut pas hésiter à le revoir à la baisse, pour l’atteindre dans un deuxième temps.
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