Organiser un concert géant pour la planète peut-il être contre-productif ? Alors que des stars mondiales se produisaient sous la tour Eiffel pour mobiliser face à l’urgence climatique ce jeudi, la pertinence de ce genre d’évènement reste discutée. L’occasion d’ouvrir la réflexion sur l’engagement écologique de la culture et des artistes.
Ce jeudi 22 juin, un concert « pour la planète » réunissait Billie Eilish, Lenny Kravitz, Jon Batiste et H.E.R au pied de la tour Eiffel. Baptisé Power our Planet, l’évènement visait à interpeller les dirigeant·es du monde entier réuni·es à Paris à l’occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, organisé par Emmanuel Macron. Résultat : quatre heures de show et de discours engagés devant une foule de 20 000 personnes.
Derrière cet évènement XXL, on retrouve l’ONG Global Citizen, spécialiste de ce type d’opérations. En 2021, elle avait coordonné un évènement similaire, accueillant alors Elton John et Stevie Wonders au Trocadéro. En ralliant des stars mondiales, l’ONG veut donner de la voix à son plaidoyer en faveur de la justice climatique. Elle appelle à un « changement profond dans le fonctionnement des systèmes financiers » pour permettre à tous les pays de financer l’adaptation et la transition écologique.
Mobiliser les citoyens
L’objectif est aussi de sensibiliser un large public, venu d’abord pour écouter les artistes. Entre les concerts, la scène accueillait des prises de parole de personnalités engagées dont les actrices Diane Kruger (Inglourious Basterds) et Michelle Yeoh (Everything Everywhere All at Once). Mia Mottley, Première ministre de l’île Barbade touchée de plein fouet par le dérèglement climatique, et le Président brésilien Lula ont également pris le micro, joyeusement acclamé·es par la foule.
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Les places du concert, toutes gratuites, étaient réservées à des citoyen·nes réalisant des défis lancés par Global Citizen. S’informer sur l’autonomisation des femmes, adopter des éco-gestes, interpeller un·e dirigeant·e politique sur Twitter ou signer une pétition permettait de gagner des points sur une application mobile, et de participer à un tirage au sort pour obtenir des tickets.
Un bilan écologique discutable
Si pour les présent·es, s’engager pour l’écologie c’est avoir un discours fort et un mode de vie hors-sol, on peut s’inquiéter des effets réels de l’événement sur le climat
Toutefois, à l’heure où le monde de la culture accélère sa transition écologique, un tel évènement interroge quant à sa durabilité. Malgré les efforts affichés par l’ONG – usage de biocarburants, alimentation 100% végétale, tri et compostage des déchets –, quelques points noirs subsistent : artistes venu·es de loin en avion pour une seule date, logistique lourde, goodies vendus sur place, partenariat avec Coca-Cola et Procter & Gamble qui font partie des « champions de la pollution plastique » selon l’ONG Break Free From Plastic…
Mais au-delà du simple bilan carbone, c’est davantage « l’impact sur les imaginaires » qui préoccupe Samuel Valensi. L’auteur du rapport Décarbonons la culture du think-tank The Shift Project reconnaît une initiative « bourrée de bonnes intentions » mais invite à regarder « ce qui est raconté par un tel évènement ».
« N’importe quel·le jeune qui viendra à ce concert sera inspiré·e par les stars présentes, et toutes proposent un modèle de réussite basé sur l’esprit de conquête, déplacent des dizaines de semi-remorques pour leurs tournées et se déplacent en jet privé partout dans le monde. Si pour les présent·es, s’engager pour l’écologie c’est avoir un discours fort et un mode de vie hors-sol, on peut s’inquiéter des effets réels de l’événement sur le climat ».
L’exemplarité permettra plus facilement de politiser le sujet : les experts du GIEC ne nous présentent pas leurs rapports dans l’avion
Avec son line-up hors du commun, Power Our Planet participe à la dynamique de « surenchère des productions de spectacles » dénoncée par le sociologue Michaël Spanu, loin des appels à « diminuer les échelles » porté par le Shift Project. Samuel Valensi encourage alors chacun·e à rester attentif·ve à la « matérialité » et aux « ordres de grandeur » en jeu dans ce type d’événement.
Et ce dilemme n’échappe pas à certain·es artistes. À l’image de Billie Eilish qui tente de concilier tournées internationales et écologie en refusant de voler en jet privé, en installant un éco-village dédié aux initiatives durables à chacune de ses étapes, ou en invitant 8 activistes climat dans les pages de Vogue. « Il est certain que l’exemplarité permettra plus facilement de politiser le sujet : les experts du GIEC ne nous présentent pas leurs rapports dans l’avion », approuve Samuel Valensi qui insiste toutefois sur la grande responsabilité des artistes, capables selon lui de « questionner et réinventer » les logiques de l’industrie musicale.