« Oubliez votre empreinte carbone, parlons de votre ombre climatique ». C’est la proposition de la journaliste américaine Emma Pattee pour évaluer l’impact environnemental des citoyen·nes en prenant en compte leurs choix de carrière ou leurs engagements politiques et associatifs. Une manière de dépasser l’aspect comptable de l’empreinte carbone et d’offrir un cadre de réflexion sur la responsabilité individuelle face à l’urgence écologique.
Très utile pour sensibiliser à l’écologie, l’empreinte carbone s’est aujourd’hui largement démocratisée, se retrouvant peu à peu de partout, des stratégies d’entreprise aux discussions du repas de Noël. Et pour cause, elle permet de rendre palpable l’impact qu’a chacune des activités humaines sur le climat, ce qui en fait un outil redoutable pour quantifier les efforts effectués et identifier les priorités d’action face au dérèglement climatique.
Mais sa déclinaison à l’échelle individuelle, le bilan carbone personnel, fait parfois grincer des dents. Il est régulièrement accusé de présenter la catastrophe écologique comme un enjeu individuel, auquel il faudrait répondre par une succession d’éco-gestes, détournant ainsi l’attention des luttes collectives. C’est la critique adressée par la journaliste américaine Emma Pattee, dans un article publié dans le média MIC. « Imaginez si Greta Thunberg avait décidé de consacrer son attention à utiliser moins d’eau ou à abandonner les produits laitiers au lieu de créer le mouvement #FridaysforFuture » ironise la journaliste.
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Elle présente ensuite un dilemme : « Voici deux personnes : l’une prend l’avion chaque semaine pour le travail ; l’autre vit dans un studio et se rend au bureau tous les jours. La première est un·e climatologue qui parcourt le monde pour enseigner les dangers du changement climatique. La deuxième personne travaille pour une agence de marketing, faisant des publicités pour une compagnie pétrolière. Alors, qui contribue le plus à l’urgence climatique ? »
Une ombre qui nous suit de partout
Cet exemple caricatural lui permet de mettre le doigt sur les limites du bilan carbone individuel qui peine à prendre en compte la complexité des comportements individuels. Elle propose alors de parler d’ombre climatique pour obtenir une image plus complète de l’impact environnemental de chacun·e. Il faut l’imaginer comme une forme sombre qui s’étend derrière nous, et dont la taille varie en fonction de nos modes de vie, mais aussi de nos choix de carrière, de nos votes, ou des efforts faits pour sensibiliser nos proches.
En ce sens, Emma Pattee identifie trois sources d’ombre climatique : la consommation, les choix de vie (emploi, enfants, investissements financiers…) et ce qu’elle appelle « l’attention ». Ce dernier point, plus vague, correspond à la place qu’occupent les enjeux climatiques dans les pensées, actions et conversations quotidiennes. « Est-ce au moins autant que le temps que je passe à regarder Netflix ou à planifier mes prochaines vacances ? » interroge la journaliste.
« Nous allons avoir besoin d’un inventaire moral vivifiant »
En France, l’idée a été reprise par le collectif Pour un Réveil écologique, qui se mobilise depuis 2018 auprès des universités et des employeur·euses pour permettre aux jeunes de s’engager à travers leur formation et leur emploi. L’ombre climatique permet alors au collectif de rappeler la nécessité de « combiner les petits gestes individuels avec de grandes actions d’engagement ».
La plupart des facteurs de l’ombre climatique étant difficilement quantifiables, la notion semble surtout destinée à amorcer une réflexion sur la responsabilité écologique de chacun·e. Une responsabilité dans laquelle les choix individuels, les déterminismes et les destins collectifs s’entremêlent. « Nous avons besoin d’un inventaire moral vivifiant pour travailler tous ensemble face à l’urgence climatique » résume Emma Pattee.