Pour contrebalancer les prises de parole des ténors du monde politique après les élections européennes, Pioche! donne la parole à cette jeunesse engagée, informée et influente. Cinq questions et réactions sur le score de l’extrême-droite, la dissolution de l’Assemblée nationale, l’appel à la création d’un Front Populaire à gauche, les conditions d’une telle union, et la place des questions de justice sociale et d’écologie.
Retrouvez notre série : La jeunesse engagée face au Rassemblement national.
- Léna Lazare : « Ce n’est que le début d’une nouvelle dynamique de mobilisation en France »
- Achraf Manar : « Il faut mettre les sujets de la vie quotidienne au cœur de cette campagne »
- Lumir Lapray : « C’est ça le travail qui nous attend, gagner la bataille culturelle »
- Marine Calmet : « Beaucoup sont désabusés de ne pas avoir vu les politiques tenir tête aux lobbies »
C’était attendu. Depuis dimanche et le double séisme du score élevé du Rassemblement national (31,4% des voix), et de la dissolution conduisant à des législatives anticipées, les 30 juin et 7 juillet, l’espace médiatique est saturé par les ténors de la politique. Qui appelant à l’union, au ralliement, à la trahison, à l’exclusion.
C’était pourtant l’un des motifs de ce vote extrémiste, ce sentiment d’être dépossédé de son destin, éloigné des décisions politiques, usé par les réformes brutales et les promesses démocratiques (Conventions citoyennes, Grand débat national, Conseil National de la Refondation) sans lendemain.
Quelle parole donnera-t-on à la société civile pendant ces trois semaines de campagne ? Quelle oreille aura-t-on pour cette jeunesse elle aussi éloignée des urnes, que l’on entend peu, que l’on n’écoute guère ?
Chez Pioche!, nous avons décidé de tendre le micro à ces jeunes citoyen·nes qui prennent chaque jour la responsabilité d’agir pour les autres et notre environnement, par leur travail, leur association, leur engagement personnel.
Léna Lazare, 26 ans, porte-parole des Soulèvements de la Terre. Marine Calmet, 33 ans, présidente de Wild Legal et avocate pour les droits de la nature. Achraf Manar, 26 ans, fondateur de Destins liés, contre les inégalités touchant les jeunes des quartiers populaires, et Lumir Lapray, 31 ans, chroniqueuse sur RMC et militante.
Des analyses, des horizons et des espoirs politiques que l’on aimerait davantage entendre. Parce qu’ils sont ancrés dans le réel, en lien direct avec leur génération. Parce qu’ils disent quelque chose, aussi, du monde qui se construit sous nos yeux. À bon entendeur.
Ancienne porte-parole en France du mouvement Youth for Climate, Léna Lazare quitte en 2021 les bancs de la Sorbonne et ses études de maths et physique pour suivre une formation de responsable d’exploitation agricole. Elle est aujourd’hui membre et porte-parole des Soulèvements de la Terre.
Ce score de l’extrême droite en France et en Europe, comment le vis-tu depuis ta position et ton engagement ?
Léna Lazare : Je ressens un mélange de colère et de peur. En tant que militant·es, on a beaucoup été criminalisé·es ces dernières années. Et on n’est pas les plus à plaindre. Je pense à mes potes racisé·es, LGBTQIA+, etc. J’ai l’impression qu’on va faire partie de ces personnes très ciblées par l’extrême droite, à un moment moment où les luttes écologistes ont vraiment besoin d’aller vite et d’être fortes.
Dans cette urgence climatique-là, le fait que la répression s’accentue potentiellement, qu’on perde encore des libertés grâce aux outils mis en place par les Macronistes, et que ces outils se retrouvent dans des mains encore plus malveillantes que ne l’étaient celles de Renaissance, ça fait assez peur.
« Il faut qu’on se dise qu’on peut aller voter, il faut arrêter de se dire que c’est un acte de légitimation absolue des personnes qu’on va élire »
Ensuite, je ne peux pas m’empêcher d’être en colère. Parce que Jordan Bardella a été surexposé médiatiquement. Parce que, comme l’a très bien dit Sophie Binet (secrétaire général de la CGT, ndlr.), il se passe un petit peu la même chose que dans les années 30 où le patronat, les capitalistes, qui aujourd’hui flippent de la colère sociale et du dérèglement climatique, propulsent l’extrême droite en reprenant le mot d’ordre « plutôt Hitler que le Front Populaire ».
Globalement, les gens de gauche s’abstiennent, c’est un des problèmes. Il faut qu’on se dise qu’on peut aller voter, arrêter de se dire que c’est un acte de légitimation absolue des personnes qu’on va élire. C’est un outil pour remporter des victoires et éviter de perdre trop de droits, et d’éviter qu’il y ait de plus en plus de personnes dans la misère, plus de morts, de politiques d’austérité et de dynamiques racistes, homophobes, etc.
Comment as-tu réagi à la dissolution de l’Assemblée ? Qu’est-ce que tu t’es dit à ce moment-là ?
Léna Lazare : Je ne m’y attendais pas. C’est flippant. Je pensais vraiment qu’il faudrait s’opposer à l’extrême droite dans le cadre des présidentielles en 2027 et pas là, maintenant, dans trois semaines. Si on essaie de voir le positif, j’ai encore espoir qu’on puisse avoir une majorité de gauche à l’Assemblée nationale, et peut-être alors améliorer nos conditions de vie pendant les 3 ans qui nous restent de mandat de Macron.
Mais il faut vraiment qu’il y ait un sursaut, et que même les militant·es de gauche qui s’abstiennent souvent, qui sont critiques à l’égard des partis, comme je le suis aussi honnêtement, se disent que là, on a besoin de s’engager pour qu’il y ait plus de députés du nouveau Front Populaire. Sinon, ce sera tellement plus compliqué de lutter que ça risque d’être beaucoup plus difficile de récupérer le pouvoir après.
Comment as-tu réagi à la création du Front Populaire ? Qu’est-ce que tu t’es dit à ce moment-là ?
Léna Lazare : Que c’était essentiel qu’on ait de nouveau une union des partis de gauche. L’heure est trop grave pour encore être dans la critique des un·es les autres, la division. J’ai fait partie des personnes qui ont été très déçues que la gauche ne s’unisse pas sur le programme de la NUPES aux élections européennes. Je pense qu’elle aurait fait un meilleur score.
Beaucoup d’électeur·ices de gauche sont déçu·es qu’à la place d’être dans cette course à la présidentielle, aux partis, n’ait pas été trouvées de bases communes pour s’opposer au néolibéralisme et à l’extrême droite, et les deux vont ensemble. Donc c’est un soulagement que les quatre partis de gauche se soient accordés sur l’importance d’arrêter cette rhétorique-là, et de s’unir sur des bases qui restent celles du programme de la NUPES, et ne sont pas un trop grand nivellement par le bas. C’est rassurant.
De la perspective où tu te situes, étant partie prenante des Soulèvements de la terre, quelle doit être la place de la question de justice sociale et écologique dans ce contexte ?
Léna Lazare : Beaucoup d’acquis sociaux ont été perdus ces dernières années, et nous commençons à ressentir de plus en plus les effets du dérèglement climatique. Il y a donc vraiment besoin que l’on s’organise collectivement, et en dehors des partis politiques.
Avoir un gouvernement de gauche qui facilite nos luttes, c’est nécessaire. Mais on ne passera pas à une société juste et écologique si on ne la construit pas par nous-mêmes, et qu’on ne fait pas aussi du pouvoir dans nos vies en étant à l’origine d’alternatives radicales, de communs et en luttant contre les projets destructeurs près de chez soi.
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Moi, ce que je fais au quotidien, ce que font les Soulèvements de la terre, les mouvements sociaux et écologiques sur le terrain, je pense que c’est ce qui est vraiment porteur d’espoir, et ce qui va nous permettre de résolument changer les choses. Parce qu’on sait très bien que même s’il y a un gouvernement de gauche qui arrive au pouvoir, s’il n’y a pas une pression populaire derrière, les changements dont on a besoin n’arriveront pas.
Comment vois-tu les législatives, qu’est-ce que tu en attends ? Et comment te projettes-tu dans l’après ?
Léna Lazare : Il y a quand même eu de nombreuses occasions pour un sursaut de la population ces dernières années. Je pense que là, pour les personnes pour qui ce n’était pas criant qu’il fallait se mobiliser, de rejoindre des dynamiques collectives pour ne pas sombrer dans le fascisme ou ne plus avoir la chance de vivre sur une planète habitable dans 50 ans, là, c’est une occasion de le faire.
Quand il y a des moments comme ça, qui permettent à des personnes de ressentir dans leur corps l’urgence, si ça nous permet d’avoir des nouvelles énergies dans les mouvements sociaux et écolos, c’est super.
« La situation est très grave mais j’espère que ce sera une occasion de retrouver de la force collectivement »
Et oui, je crois qu’on peut arriver à avoir un parlement où la gauche est beaucoup plus présente en juillet. Il faut que ce soit notre boussole. En sachant que ce n’est pas du tout suffisant, que le vote c’est un des premiers niveaux d’engagement, qu’il s’agit surtout qu’on ait des conditions favorables pour changer les choses durablement, changer le système politique, faire en sorte que les habitant·es aient plus de pouvoir sur leurs lieux de vie, etc.
Donc ce n’est que le début, j’espère, d’une nouvelle dynamique de mobilisation en France. J’ai l’impression qu’on était beaucoup à être abattu·es depuis la réforme des retraites. Donc même si cette situation est très grave, j’espère que ça va être une occasion de retrouver de la force collectivement.