Pour Leina Sato, l’apnée est une pratique qui permet de reconnecter avec son intériorité, tout en ne faisant plus qu’un avec la nature. La plongeuse franco-japonaise raconte ses moments les plus marquants passés sous l’eau, en marge du lancement du festival Green Orizonte, qui aura lieu en octobre 2023 en Corse.
L’Apnée n’est pas un qu’un sport. C’est aussi une expérience. Celle des limites de son propre corps, mais également de la contrainte que peut lui opposer le monde extérieur. Ces quelques minutes que peuvent passer les pratiquants les plus aguerris se transforment, selon leurs dires, en véritable expérience méditative, durant laquelle les limites entre soi et le monde ne sont plus aussi évidentes qu’à l’accoutumée.
Leina Sato est une habituée de ces moments suspendus. Elle plonge en apnée depuis ses 14 ans, au contact de la vie qui peuple l’océan. Ces heures passées sous l’eau ont permis à la professionnelle franco-japonnaise d’entrainer sa sensibilité au monde aquatique. Dans le cadre de l’annonce du festival Green Orizonte, qui aura lieu en octobre 2023 en Corse et a pour thème le tourisme durable, elle a accepté de répondre aux questions d’Emeline Bartoli, sur son activité et son rapport à la nature.
Pouvez-vous nous partager ce que vous ressentez au moment d’effectuer l’une de vos apnées ?
Leina Sato : Dans le Pranayama, le yoga du souffle, l’apnée est décrit comme un moment de rétention, suspendu entre l’inspiration et l’expiration. Dans ces instants, le mental chavire. Je bascule dans un état de conscience élargi. Je ressens une porosité avec l’environnement extérieur, qui vient avec une forme de lâcher-prise de l’esprit. J’accède à autre chose.
L’auteur français Romain Rolland, ami de Sigmund Freud, évoque dans ses travaux le sentiment océanique. Cela fait référence à l’impression d’appartenir à quelque chose beaucoup plus vaste que ce que nous sommes, au-delà de toute croyance religieuse ou de spiritualité. On se sent comme une goutte d’eau fondue dans l’océan.
Quelle a été l’expérience la plus marquante que vous avez vécue au moment d’une apnée ?
Lors d’une apnée à Hawaii, j’ai pu rencontrer une dauphine. Tout a commencé par un regard, qui a de suite instauré une intimité entre nous deux. Nous avons cheminé ensemble, avant de finir par plonger. Elle m’a invitée et je suis descendue avec elle. Au moment de remonter, j’ai eu le sentiment que nous ne formions qu’un seul corps. Son œil était collé à mon masque, et je ne crois pas avoir déjà plongé dans le regard d’un autre être de manière plus profonde !
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Cette expérience transcendante et spirituelle n’a surement durée qu’une petite seconde, mais je l’ai prise comme une claque dans la figure. Lorsque je suis revenue à moi, j’étais encore en apnée. La dauphine me regardait toujours. Elle a effleuré mon ventre, et elle s’est allée. C’était un moment de grâce inouïe.
Qu’est-ce que l’expérience de la plongée dit de nous ?
Nous sommes des êtres aquatiques, même si notre espèce l’a oublié. L’océan est la matrice universelle dans laquelle toute la vie est née. Nous en portons la mémoire, de manière consciente ou non. Ces souvenirs peuvent s’éveiller, notamment par la pratique de l’apnée. Ce n’est pas une pratique contre nature. Notre corps dispose de cette compétence, enfouie en nous. Nous avons beaucoup plus en commun que nous le pensons avec les mammifères marins.
Vous avez voulu partager cette expérience, notamment en prenant la tête d’une structure d’écotourisme à Hawaii. Rétrospectivement, qu’est-ce que vous tirez de cette expérience ?
L’océan est le dernier espace sauvage sur terre. C’est aussi un lieu de rencontre, notamment avec les cétacés qui viennent nous voir avec beaucoup d’empathie, de curiosité et d’amitié. Dans son ouvrage La Panthère des neiges, Sylvain Tesson raconte que la rencontre avec un animal sauvage est une clé qui ouvre une porte. Derrière cette dernière se trouve l’indicible.
Il ne faut surtout pas désacraliser ces moments, en les faisant entrer dans les écueils de notre société moderne. On ne peut pas acheter une expérience avec la nature. Les rencontres se co-construisent. Les personnes qui travaillent dans l’écotourisme doivent agir comme des passeurs. L’idée doit être d’accompagner les personnes le souhaitant dans la redécouverte d’un langage qui permet de communiquer avec la nature. Les animaux nous font une offrande lorsqu’ils viennent à notre rencontre.