À quelques jours de son concert historique à la Salle Pleyel, et au lendemain de la sortie de son 7e et dernier album Hypertalisman, le musicien caennais Fakear revient sur une année d’engagement écologique sur la route – dont une partie avec Pioche! – comme par le verbe. Annonçant une suite déjà toute réfléchie : le combat se fera par la musique, et l’émotion.
Partir en tournée avec Théo Le Vigoureux, alias Fakear, pour quelques dates en festival l’été dernier, a – entre autres – permis de valider l’idée qu’un artiste peut parfois vraiment ressembler à sa musique. Et en l’occurence, à un jeune homme traversé par la joie et un enthousiasme sans faille, mû par sa curiosité et à une grande générosité. On racontera à qui en douterait certaines anecdotes qu’il nous faut pour l’heure ne divulguer qu’à l’oral.
Reste qu’après une année ponctuée de salles de concert sold out, d’une tournée engagée avec Pioche! en festival, et de belles dates en Europe, Fakear a rendez-vous le 2 février avec l’une des plus belles salles de l’Hexagone, la Salle Pleyel. Un concert avec son équipe de cœur, et quelques invité·es de marque, Camille Etienne au premier chef. L’activiste qui l’avait conduit à jouer pour les Marches pour le Climat viendra poser son chant sur le morceau « Odyssea », l’un des bijoux de Talisman, son précédent disque.
Point de voix engagée toutefois sur Hypertalisman, le 7e et dernier album du producteur caennais, sorti le 19 janvier chez les amis de toujours Nowadays Records. Car plutôt que de creuser le sillon de « l’artiste engagé », Théo aimerait mieux faire parler la musique seule, et l’émotion qu’elle véhicule. Le discours, lui, se fait toujours aussi clair que sa démarche : la prochaine tournée sera réalisée en train. Et comptez sur le jeune trentenaire pour pousser ses pairs musiciens à l’imiter.
Dans Talisman, il y a un morceau très fort avec Camille Étienne, « Odyssea », qui aborde directement les enjeux écologiques. Est-ce qu’on retrouve la même forme d’engagement dans ce nouvel album, Hypertalisman ?
Fakear : Le morceau avec Camille fait un peu figure d’exception. Ce n’est pas dans mon habitude de faire de la musique à message explicite. Je préfère rester évocateur, avec des ambiances qui appellent la nature ou l’écologie sans que ce soit un discours politique.
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« J’essaye d’avoir un peu une approche à la Miyazaki : aller chercher les gens par l’émotion, par les paysages… »
Avec Hypertalisman, je continue un peu dans la même voie, soit un disque d’abord évocateur. Le discours d’engagement, je vais continuer de le maintenir dans la vie et sur le terrain en tant que personne publique. Mais j’ai envie que la musique reste assez pure et traditionnelle dans sa forme.
Je ne veux pas tomber dans le piège de l’artiste engagé, et plutôt avoir un peu une approche à la Miyazaki : aller chercher les gens par l’émotion, par les paysages… Et que chacun fasse ensuite le trajet dans sa tête avec les valeurs qui les accompagnent.
Mes valeurs à moi, elles se ressentent dans mon discours et dans la pratique, mais je n’ai pas envie que ce soit ostentatoire. L’écologie est un combat qui se mène sur le terrain, et aussi via la sensibilisation, et donc l’émotion. C’est le discours de Camille lorsqu’elle dit vouloir emprunter à l’art son potentiel émotionnel pour parler d’une cause aussi importante. C’est trop bien ! Parce que la musique résonne en chacun de nous, parle à tout le monde. Elle peut faire passer des messages plus fins et plus profonds qu’un simple discours politique.
Qu’est-ce qui a évolué entre les deux albums, qu’est-ce qu’il y a dans ce « hyper » qui s’est rajouté devant Talisman ?
Fakear : Talisman est un album plutôt terrien, ancré dans des paysages organiques et naturels. Hypertalisman amène une dimension un peu Sci-Fi. J’ai voulu ajouter une touche cyberpunk, un côté nocturne et urbain qui n’est pas forcément dans le premier album et qui correspond plus à une ambiance de club.
C’est rigolo, je me rends compte avec le recul que les références de Talisman viennent beaucoup du confinement et de voix empruntées aux jeux vidéo, comme Zelda par exemple. Il tourne plus autour de l’introspection et du voyage intérieur alors qu’Hypertalisman est beaucoup plus ouvert vers l’extérieur. C’est un disque qui a été fait en tournée donc à une période où j’ai beaucoup vécu la nuit.
Il y a encore des phases enfantines comme le morceau « Training Lesson » qui sonne comme la B.O d’un Jackie Chan. C’est un truc un peu drum’n’bass avec de la derbuka dans tous les sens. Je m’éclate à la jouer en live, on a l’impression que les premières notes sont des nuages qui se dissipent, et on atterrit en haut d’un pic au Tibet. Mais plus largement, j’ai tout de même l’impression d’avoir mûri et grandi dans ma musique.
« C’est un disque qui a été fait en tournée donc à une période où j’ai beaucoup vécu la nuit »
Comment va se passer la tournée de cet album ? Tu continues à porter une attention toute particulière à ton empreinte environnementale ?
Fakear : Cette année, on repart en tournée quasi exclusivement en festival. On est en train de récolter un maximum d’informations pour trouver d’autres manières d’organiser une tournée. Je suis rentré en contact avec Marie Pommet, la sœur de Pomme, qui s’occupe de faire le lien entre sa tournée et la cause environnementale à travers des plateformes de covoiturage, des collectes de vêtements etc. J’ai aussi rejoint un groupe de réflexion du Centre national de la musique (CNM) pour imaginer le futur des tournées.
Le but va être de rapprocher au maximum les villes dans lesquelles on passe. On a aussi remanié l’organisation de la tournée internationale pour la penser autrement que comme une mondialisation générale. On va privilégier les pays limitrophes, l’Allemagne, l’Angleterre, des pays qui sont à portée de train.
Ça permet de bosser convenablement et de ne plus faire des sauts de puce, entre la Thaïlande, puis le Canada ou le Costa Rica, uniquement en fonction des opportunités. Et si on doit partir loin, soit on trouvera des dates à côté, soit on restera longtemps et ça deviendra un voyage, un vrai truc quoi.
Cet été, on est partis en tournée ensemble au Cabaret Vert de Charleville-Mézières, au 2030 festival de Montpellier, et même jusqu’en Corse avec le Green Orizonte. À chaque date, Pioche! organisait un petit temps d’échange avec le public avant ton set pour discuter de ton engagement écologique. Comment as-tu vécu cette aventure ?
Fakear : C’était hyper rafraîchissant. Ces moments s’imbriquaient dans des dates plus traditionnelles, avec pleins de matos, dans lesquels on a moins de lien avec le public. Quand j’ai un message à passer, ça se résume à une prise de parole très synthétique entre deux morceaux. Tandis que ce format de discussion permet de parler aux gens, de prendre du temps, de se rapprocher. Ça m’a fait du bien. Et puis j’ai l’impression que le public s’est vraiment senti considéré, j’ai même reçu des messages de remerciement.
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À Calvi, il s’est passé quelque chose d’un peu magique. Être là à échanger avec le public en fin d’après-midi, avec le coucher de soleil. C’était le bouquet final. La discussion était après le set, les gens étaient entrés dans ma bulle, étaient encore tout vibrants, ça a facilité le dialogue.
Tu as une forme de sincérité et de transparence qui fait du bien. On comprend que tu es comme tout le monde, tu expliques autant les efforts que tu fais que tes écueils. C’est sûrement cette humilité qui touche le public.
Fakear : Avant de le faire, j’avais peur de ne pas être légitime, de ne pas être crédible, que j’allais descendre de la scène et être pris pour un clown. Parce que ce n’est pas mon métier de parler d’écologie. Mais l’accueil du public m’a décomplexé, et je suis moins timide pour en parler maintenant. D’ailleurs, je devrais en parler à d’autres artistes pour leur donner envie.
Écouter Hypertalisman, le dernier album de Fakear sorti chez Nowadays Records le 19 janvier 2024.
Assister à son concert à la Salle Pleyel, Paris, le 2 février prochain.