Les 5 et 6 juillet 2024, le village de Saint-Denis-de-Gastines (Mayenne) accueillait la 23e édition du festival Au Foin De La Rue, avec Bonnie Banane, Mass Hysteria, Rounhaa, Cate Hortl, Deluxe et Patrice à l’affiche. Mais davantage que sur scène, c’est en coulisse, dans la fosse et dans les témoignages des habitant·es que l’identité du festival Au Foin De La Rue se révèle : celle d’une aventure collective, tournée vers le faire-ensemble et mettant la culture au service de son territoire.
Les échos du concert d’Eddy de Pretto résonnent entre les pierres grises du bourg de Saint-Denis-de-Gastines. En cette première soirée du festival Au Foin De La Rue, quelques festivalier·es convergent vers le site, situé à la sortie du village, et des technicien·nes s’emploient à déplacer des barrières pour préparer le lendemain. Mais rien ne semble perturber la poignée d’habitué·es attablé·es au Bar du Centre, un œil sur le quart de finale de l’Euro France-Portugal. « Vous ne venez pas au festival ? – Non, nous on y va demain. Mais pas pour la musique, on est bénévoles. »
Dans ce village du nord de la Mayenne (53), l’association Au Foin De La Rue organise un festival de musiques actuelles depuis plus de 20 ans. Pensés comme le point d’orgue d’actions culturelles et sociales menées à l’année, ces deux jours de fête et de rencontre donnent à voir le rôle social, mais aussi les difficultés économiques, qui font les singularités de la culture en milieu rural.
« On ne veut surtout pas cibler un type de public particulier »
Le samedi matin, seulement quelques heures après la fin du DJ set de l’Ivoirienne Asna qui clôturait la soirée de la veille, bénévoles, habitant·es et festivalier·es se croisent dans le centre-bourg. Certain·es indéniablement plus dynamiques que d’autres. Des ateliers de yoga, de graff, de hula hoop ou de diabolo installés aux quatre coins du village attirent les plus téméraires, pendant que les élèves de l’école du village s’installent avec leurs instruments de musique sur la place de la mairie, devant un parterre de parents bavards.
Toute la journée, le village s’égaye de spectacles de cirque, de théâtre, de contes… Comme pour le choix des artistes qui foulent le soir les grandes scènes – en vrac : les métalleux de Mass Hysteria, le rappeur « prince de la trap » La Fève, Deluxe et leur électropop familiale, la DJ Crystalmess qui accompagnait l’année dernière Frank Ocean à Coachella – la programmation de jour balaye large.
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En laissant toujours une place aux habitant·es : des élèves du conservatoire de Laval qui reprennent des tubes pop au saxophones, jusqu’au collectif mayennais de DJ Zéro Tapage qui mixe toute la journée dans la cour de la Mairie, sans oublier l’enfant qui s’est retrouvé sur scène, casque sur les oreilles, à la fin du concert de Deluxe la veille.
« On ne veut surtout pas cibler un type de public particulier, pour au contraire, avoir des familles, des personnes âgées, des lycéen·nes, explique Ingrid Strebinger, coprésidente de l’association Au Foin De La Rue. On veut que tout le monde se sente à sa place ».
Faire ensemble
Et pour beaucoup, cette place est en coulisse. Au bar, en cuisine, en amont pour le montage, à l’entrée ou dans les loges, près de 1 300 bénévoles – pour une jauge de 8 000 festivalier·es par soir – font vivre l’événement. « Il y a une culture particulière du bénévolat à Saint-Denis-de-Gastines, analyse Camille Hameau, originaire du village et chargée de bénévolat et de médiation culturelle pour Au Foin De La Rue. Quand le festival est sorti de terre, en 2000, les gens ne se sont pas posé de question. Même si ce n’était pas leur monde, ils sont venus donner des coups de main ».
Ainsi, la scénographie du festival, imaginée à partir du thème Punk à vapeur donnant vie à une atmosphère à la Jules Verne, est entièrement réalisée par des bénévoles, en prenant soin d’impliquer des élèves d’écoles primaires, des résident·es d’EHPAD et les usager·es du centre social d’un village voisin. Et même les commerçants jouent le jeu en décorant leurs vitrines.
Dans le même esprit, Au Foin De La Rue s’est associé avec une radio associative de Mayenne (L’Autre Radio) pour initier des jeunes du village aux métiers de la radio. Au printemps, cette équipe de relève a animé une émission spéciale présentant la programmation du festival : Dans les oreilles du Foin. Le 6 juillet, elle a pu restituer en direct cette expérience sur le plateau en plein air installé au festival.
Cultiver les liens
« C’est le genre d’actions concrètes qui permet d’embarquer les gens et de les rendre acteurs du monde culturel » se réjouit Camille Hameau, qui a aussi une longue expérience de travailleuse sociale. « Mon travail est avant tout de connaître les gens du territoire, de comprendre ce qu’ils attendent de nous et d’y répondre ».
Je n’ai pas raté une édition, mes parents faisaient partie de l’organisation, je venais en poussette
C’est cette logique du « faire-ensemble », associée aux actions et programmations culturelles proposées toute l’année (projections, concerts…), qui a valu à l’association Au Foin De La Rue l’agrément Espace de vie sociale attribué par la Caisse d’allocation familiale, reconnaissant son rôle dans « le renforcement des liens sociaux et familiaux, et les solidarités de voisinage ».
Car 24 ans après sa première édition, chacun·e semble avoir une histoire particulière avec l’évènement. À l’image de Léo, la vingtaine, DJ au sein du collectif Zéro Tapage, à peine fatigué de sa nuit blanche passée à décorer la Cour de la Mairie : « Je n’ai pas raté une édition, mes parents faisaient partie de l’organisation, je venais en poussette », ou de Lina, originaire de Saint-Denis-de-Gastines, encore capable de raconter en détail le concert d’IAM sur la grande scène, en 2009.
Sur le fil
Toutefois, Au Foin De La Rue n’est pas épargné par les difficultés économiques qui touchent le secteur du live. Comme deux tiers des festivals français, l’évènement est en déficit depuis quelques années, directement affecté par l’inflation des cachets des artistes et la multiplication de l’offre de festivals.
Les gens viennent pour le festival plus que pour les artistes
Face à ces difficultés, son ancrage territorial et social fort apparaît comme un facteur de résilience économique, lui permettant d’échapper en partie à la concurrence et aux courses à la tête d’affiche, souvent synonymes de hausse des budgets et des jauges. « On résiste parce que les gens viennent pour le festival, pour l’ambiance, pour ce qu’il s’y passe, plus que pour les artistes en elles/eux-mêmes » explique François Mareau, coprésident de l’association.
Pas d’objectif de croissance donc pour les organisateur·ices qui préfèrent « mettre l’accent sur l’écologie, l’accessibilité, et garder cet esprit associatif », en travaillant par exemple avec des fournisseurs locaux, ou en faisant appel au collectif Les Mains Balladeuses pour accompagner les concerts avec la langue des signes. Au service de l’expérience des festivalier·es, ces dispositifs renforcent encore davantage leur lien avec l’évènement et alimentent un cercle vertueux.
S’enraciner
L’association joue également la carte du local pour diversifier son modèle économique. À quelques pas de la rue principale qui accueille la programmation de jour du festival, l’association Au Foin De La Rue rénove un ancien garage agricole pour en faire son QG. Déjà baptisé La Station, le lieu accueillera les équipes salariées, un atelier pour les bénévoles-scénographes, des espaces de résidence pour artistes du coin et une ressourcerie culturelle.
« On ne peut pas tout miser sur un seul évènement pour survivre, c’est beaucoup trop risqué », soutient François Mareau qui garde en mémoire les effets de la crise sanitaire de 2020 et des éditions marquées par de mauvaises conditions météorologiques.
Ainsi, comme la plupart des festivals ruraux – qui représentent un tiers des 7 300 festivals français – le festival Au Foin De La Rue a été façonné par son territoire et ses habitant·es, donnant vie à une approche singulière : plus ancrée, plus diversifiée et dépassant le cadre strictement culturel pour se mettre au service du lien social. Et face aux difficultés économiques des festivals, comme face aux enjeux écologiques ou d’accès à la culture, Saint-Denis-de-Gastines apparaît alors comme un laboratoire de pratiques à même d’inspirer les transitions du secteur. Qui a parlé de désert culturel ?