Hier soir, nous étions à la Flèche d’Or (Paris 20e), voir le passionnant documentaire Femmes rurales en mouvement en présence de la sociologue Héloïse Pruvost qui a collaboré à sa conception. Un documentaire indispensable pour réfléchir à l’agro-écologie et aux enjeux féministes hors de nos schémas occidentaux, co-construit et co-produit par le Mouvement de la Femme Travailleuse Rurale du Nordeste. Bonne nouvelle : il est aussi disponible en ligne.
Les articles et films qui évoquent le monde rural brésilien échappent rarement à l’accumulation de stéréotypes : pauvreté, illettrisme, absence de réflexion politique sur l’écologie, le féminisme, la politique… Dans Femmes rurales en mouvement, les idées reçues volent en éclat. Pour la simple et bonne raison qu’il a été co-construit par les premières concernées, elles-mêmes tour à tour devant et derrière la caméra, porteuses du récit d’une histoire qui est la leur. Issues des populations rurales et s’identifiant comme noires, elles racontent comment leur lutte pour transformer la société par l’activisme féministe et agroécologique a aussi transformé leur vie.
Elles sont agricultrices, artisanes, pêcheuses, noires, indigènes… Elles sont réunies au sein du mouvement de la Femme Travailleuse Rurale du Nordeste, qui, depuis les années 1980, veut « rompre avec les mentalités de soumission », comme l’énonce leur slogan. Un féminisme rural qui promeut l’agro-écologie, un projet social qui préserve l’environnement, au moyen de pratiques agricoles écologiques. Mais qui construit aussi des formes d’organisation sociale, économique, et politique plus justes.
Un film co-construit par 30 femmes rurales brésiliennes
« Ce film participatif permet de rompre avec l’usurpation de la parole des femmes rurales : elles portent leur voix, à leur façon, dans leur langue. »
Elles racontent comment elles ont ensemble appris à pratiquer une agriculture écologique, à rebours des pesticides et monocultures qui les entourent. Comment elles déconstruisent, dans l’éducation de leurs enfants (et de leurs conjoints), l’imaginaire d’une répartition des tâches genrée. Comment l’une d’entre elles a pu accepter, grâce à la force donnée par le collectif, de vivre librement sa vie avec une autre femme.
Ces « femmes rurales en mouvement » se filment dans leurs activités, montrent comment elles auto-organisent et transforment les relations de genre et de pouvoir, comment elles agissent pour transformer la société par l’activisme féministe et agro-écologique. À travers des portraits de militantes, des interviews et des moments de travail, de réunions, de manifestations, de rires et de chants, le film aborde leur lutte contre le patriarcat, l’homophobie, l’agriculture intensive et polluante. Face caméra, elles expriment tour à tour ce que signifient pour elles agro-écologie, féminisme, identité noire, oppression…
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« Ce film participatif permet de rompre avec l’usurpation de la parole des femmes rurales : elles portent leur voix, à leur façon, dans leur langue. C‘est un outil de diffusion, de conscientisation, de pénétration des milieux traditionnellement niés aux femmes noires et aux femmes rurales », explique Héloïse Prevost, sans rien omettre de la difficulté de l’exercice. « Aucune d’entre nous n’avait de compétences en la matière. Il a fallu se former, faire des erreurs… Non seulement sur le plan de la technique, avec 110 heures de rush pour 45 minutes de film, mais aussi dans l’écriture du scénario, dans la prise de parole face à la caméra, dans le consensus lorsqu’on est 30 à filmer et à produire le film… ».
Un sacré défi qui fait de ce documentaire un précieux outil de réflexion, à regarder et à partager sans modération.