La planète électronique française s’est donné rendez-vous du 3 au 5 juin à Marseille pour le festival Le Bon Air. Au-delà des têtes d’affiches, le rendez-vous marseillais travaille chaque année en coulisses à relever le défi d’être toujours plus responsable, sur les enjeux sociétaux comme environnementaux. En phase avec les valeurs de cette scène indépendante défendue depuis 2016.
Pour les amateurs de musiques électroniques, Le Bon Air est un des événements immanquables de la saison. Dans l’écrin post-industriel de La Friche Belle de Mai, le festival marseillais aligne cette année sommités du genre (Anetha, Ben Klock, Jennifer Cardini, Dixon ou encore Folamour) et artistes les plus prometteurs (Boy Harsher, Glitter, Greg ou Emma DJ…).
Le Bon Air a ainsi rejoint le club des grands rendez-vous français, aux côtés de Nuits sonores à Lyon, Astropolis à Brest, ou Positive Education à Saint-Etienne, depuis sa première édition, en 2016. Sa recette : être une plateforme d’expression pour une scène indépendante qui déborde de créativité. Et refléter au plus juste les valeurs que ces artistes et ce public charrient avec “elleux”.
On a eu envie de construire cet événement pour mettre la scène locale à l’honneur
La programmation musicale se veut ainsi « ouverte à tous les genres et à toutes les minorités ». Et le festival accueillera cette année des médiateurs dédiés à la prévention des violences sexuelles et sexistes. Des dispositifs accompagneront les publics empêchés, et l’ensemble des équipes externes et internes ont ratifié une charte “responsable et durable” avec un certain nombre d’objectifs à atteindre.
Parmi tous ces défis, l’enjeu environnemental figure bien sûr en bonne place. C’est même devenu une programmation en soi. Pour la partie plaisir : cuisine locale et de saison, chefs marseillais, vin naturel maison et bières artisanales. En coulisses, on parle aussi sensibilisation au tri et gestion des déchets, eau potable en libre accès et gourdes autorisées, incitation au covoiturage et communication responsable. Avec les nouvelles contraintes de temps et de moyens que cela engendre…
Pourquoi était-ce important qu’un festival comme Bon Air prenne le sujet de l’environnement à bras le corps ?
Cyril Tomas-Cimmino : En réalité, l’environnement fait partie du projet Bon Air dès le départ. Depuis 10 ans avec l’agence Bi-Pole, nous avons été amenés à participer à un grand nombre de festivals en Europe. Beaucoup réussissaient à créer une expérience folle tout en répondant aux enjeux d’urgence climatique, d’inclusion, ou d’autres responsabilités de notre époque.
D’édition en édition, la vraie difficulté est d’essayer de réinventer un modèle économique
Pourquoi cela n’existait-il pas à Marseille ? La ville était alors en pleine hibernation des politiques sociales, culturelles, et plus encore environnementales. Comme son nom l’indique, le festival a dès le début eu cette intention de porter quelque chose de frais et différent, et de tenter de rassembler ces responsabilités autour des musiques électroniques.
Or, il y avait en parallèle toute une scène émergente, indépendante, qui, elle, ne s’est jamais endormie et a créé ses propres réseaux, ses médias, ses alternatives. C’est elle qui, la première, a travaillé sur ces responsabilités, a collaboré avec d’autres structures. C’est avec cette scène que j’ai grandi et travaillé depuis 20 ans, et qui s’est toujours confrontée au mur de la culture portée par la génération des années 80.
On a donc eu envie de construire cet événement là, pour mettre la scène locale à l’honneur, de façon responsable et en accord avec nos valeurs.
Comment a évolué votre réflexion à ce sujet ? Vous êtes-vous formés ?
La phase, je dirais, d’élévation de conscience s’est déroulée au sein de fédérations et de réseaux comme Coffees, Drastic On Plastic, avec nos amis d’Aremacs. Et à travers l’Appel des Indépendants, qui porte ce sujet des responsabilités depuis près de 2 ans. Mais cette partie n’était pas la plus difficile. Le plus dur, c’est de financer et d’essayer d’améliorer notre réponse d’une édition à l’autre.
En 2016, par exemple, on travaille avec des artistes en circuit-court, que du train, pas d’avion, pas de scénographie importée. Sur cette première édition, on perd 150 000 €. Notre ancien partenaire brasserie, nous offrait 35 000 € de sponsoring. Pas besoin de 40 conférences pour savoir qu’en bossant avec un grand groupe international, on n’était pas dans les clous. Comment s’en passer ? En travaillant avec la brasserie du Castellet, une bière produite à 40 km de chez nous. Et un sponsoring réduit à 10 000 €.
D’édition en édition, la vraie difficulté est d’essayer de recréer un équilibre et de réinventer un modèle économique. Parce que le précédent n’est pas bon, et pousse à des aberrations écologiques. En 2016, on vendait encore des bouteilles d’eau en plastique 2€ à un public qui boit beaucoup d’eau. En 2017, pas une bouteille d’eau sur site, l’eau est devenue gratuite et ouverte à tout le monde. Mais ce sont des dizaines de milliers d’euros de recettes en moins.
Le Bon Air se situe en ville, donc accessible en transport public, branché sur l’électricité de la ville, dans un bâtiment déjà existant. Le festival coche déjà des cases importantes. Quels sont les autres points d’impact que vous avez relevés, et comment les traitez-vous ?
Sur le transport, on garde un festival à dimension humaine, avec 5 500 personnes par soir, pour limiter les mobilités. La Friche pourrait nous en offrir davantage avec ses différents espaces, d’autant que nous sommes complets sur chaque édition. Mais nous attirerions alors un public qui viendrait de plus loin, peut-être international. On aurait un autre impact.
On va avoir des plats d’une très grande qualité, et extrêmement responsables
Encore aujourd’hui, les difficultés économiques liées au secteur culturel poussent les organisations à grandir leurs jauges et recettes propres. Alors que face à nos responsabilités, il faut au contraire travailler à redimensionner nos projets de manière plus cohérente. C’est aussi la volonté de conserver une proximité avec nos festivaliers. À 15 000 festivaliers par nuit, ce ne serait pas la même expérience.
Pour la production, on travaillait encore il y a peu avec des tour-bus suivis par un camion 20m3 et trois personnes pour transporter la scénographie. Aujourd’hui, les artistes voyagent en train, et la scénographie est la même pour tous les artistes, construite en collaboration avec notre équipe locale. On essaie de limiter la consommation d’énergie sur le festival, bien qu’on soit contraints de travailler avec des LED qui proviennent du continent asiatique.
Vous allez cette année programmer des chefs, et inviter des producteurs de vins nature. Finalement, la contrainte peut aussi se transformer en atout ?
Oui, tout cela tire la qualité vers le haut. Sur la restauration, on a la chance de pouvoir avoir un restaurant sur place, Les Grandes Tables. On avait encore des food trucks jusqu’en 2018, on a commencé à travailler la traçabilité en 2019, et on s’est dit qu’il fallait aller plus loin. Cette année, tous les produits viennent du territoire, d’agro-producteurs comme Terres de Mars, hormis une graine pour le couscous qui vient de l’autre côté de la Méditerranée, pas si loin.
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Nos chef.fe.s, Marie Dijon du restaurant Caterine, Les Femmes de Noailles et la brigade des Grandes Tables, sont du territoire, de sincères artistes, qui représentent la même diversité que notre programmation musicale. On est des producteurs de musique au départ, avec aussi une force d’adaptabilité. C’est du temps, du travail, une énorme mobilisation des équipes. On n’arrive pas toujours à équilibrer les budgets, mais on va avoir des plats d’une très grande qualité, et extrêmement responsables.
Que reste-t-il à accomplir pour le festival ces prochaines années ?
La marge de manœuvre est encore énorme, on peut aller beaucoup plus loin. Pour la suite, on réfléchit à la manière d’avoir un maximum d’autonomie, notamment énergétique. Cette année, on essaie une petite scène secrète qui ne consommera pas d’électricité, mais sera sur batterie rechargée au solaire. On reste toutefois face à une batterie qui génère une grande pollution, et est fabriquée on ne sait comment.
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Nous bénéficions aujourd’hui de 10% de financement public. Au sein d’un territoire avec lequel on peut enfin discuter (suite à la victoire de la coalition rose-vert aux dernières municipales, ndlr.). Reste néanmoins le sujet des solutions économiques. La gestion et le tri des déchets nous coûtent cette année 15 000 €. Nous aurions bien besoin de nos collectivités à cet endroit-là, pour que cet engagement puisse être pris en charge.
On reste en tout cas convaincus que les rassemblements de musiques électroniques sont le terrain idéal pour confronter les idées, lutter contre les inégalités, favoriser le respect de l’environnement et l’inclusion de tous les genres. Ce que l’on s’attache à faire dans nos programmations ou au sein de nos équipes. Nous travaillons à prouver que l’attractivité économique n’est pas la seule relation possible entre la société et la culture des musiques électroniques.
Retrouver toute la programmation du festival Le Bon Air, à la Friche La Belle de Mai, Marseille, du 3 au 5 juin.