Protection de l’environnement, création de nouveaux imaginaires, rôle du cinéma et de l’art dans la prise de conscience écologique… Cette année, le mythique tapis rouge du Festival de Cannes prend quelques reflets verts. En plus d’initier plusieurs initiatives pour réduire son impact sur l’environnement, la célèbre manifestation lance « Le cinéma pour le climat » et distingue pour la première fois sept longs métrages à vocation écolo.
C’est une petite révolution : pour sa 74e édition, le Festival de Cannes vire au vert. La manifestation, pas vraiment réputée pour être un modèle de sobriété environnementale, a mis en place plusieurs mesures en faveur de l’environnement. À l’affiche : réduction de 50% des impressions papier, fréquence de changement du tapis rouge divisé par deux, éviction des bouteilles en plastique ou encore mise en place d’une « contribution environnementale » de 20 euros par festivalier pour compenser son empreinte carbone.
Mais la prise de conscience environnementale du festival se passe aussi sur grand écran, en témoigne la nouvelle section éphémère de films sur l’environnement, « Le cinéma pour le climat ». Sept longs métrages (six documentaires et une fiction) sont mis en avant pour montrer que « les prises de conscience et la défense de la planète se jouent aussi au cinéma ».
Créer de nouvelles perspectives
Où sont les films qui racontent comment on pourrait s’en sortir ?
Le 11 juillet, le Festival organisait une conférence de presse à ce sujet en présence de plusieurs réalisateurs et activistes. « Le cinéma peut avoir un rôle à jouer face à cette urgence considérable à laquelle l’humanité fait face », a lancé Cyril Dion, venu pour présenter son dernier long-métrage, Animal. « On passe notre temps à raconter des histoires, a-t-il poursuivi. Aujourd’hui, beaucoup de films essaient de dépeindre l’avenir, et il s’agit toujours de récits apocalyptiques. Mais où sont les films qui racontent comment on pourrait s’en sortir ? »
Même discours pour la réalisatrice de Marcher sur l’eau Aïssa Maïga : « Nos films, qu’ils soient des documentaires ou des fictions, peuvent donner des clés de compréhension. On peut être des accélérateurs de particules, on peut permettre à des personnes de s’identifier dans des récits, de se propulser dans un ailleurs. Il faut dessiner des clés, des solutions et des perspectives dans les films. »
Le souffle de la jeunesse
Nous n’avons pas le luxe d’attendre d’avoir pris de l’âge
« Nous n’avons pas le luxe d’attendre d’avoir pris de l’âge, a prévenu Melati Witjsen, la jeune activiste du documentaire Bigger Than Us. Nous devons nous organiser pour faire en sorte que l’avenir que nous voulons deviennent réalité. » Vipulan Puvaneswaran, l’un des deux adolescents protagonistes du film Animal, a ensuite appelé le cinéma à participer à « la culture du vivant », en détaillant : « Cette culture peut être faite d’anecdotes, d’attentions collectives à tous ces êtres qu’on ignore aujourd’hui. C’est quelque chose de complexe, mais c’est l’un des rôles que peut jouer le cinéma et, d’une manière générale, l’art. »
De cette conférence de presse, on retient l’engouement et surtout l’engagement des jeunes activistes qui, habités par ces enjeux, aspirent à rebattre les cartes. « La jeune génération de cinéastes est biberonnée à ces questions environnementales. Ils ont une appréhension de ces sujets beaucoup plus forte », abonde Aïssa Maïga.
Une tribune qui interroge le monde du cinéma
Cette prise de parole collective a également été l’occasion de mettre en avant la tribune « Que peut le cinéma pour le climat », initiée par Cyril Dion et le mouvement On est prêt et publiée le 11 juillet. « Que peut le cinéma pour le climat ? Et plus globalement pour la crise écologique ou sociale ? Sans doute plus que nous ne l’imaginons… Depuis qu’il existe, le septième art a joué un rôle majeur dans la construction de nos imaginaires collectifs et a largement influencé des mouvements de l’Histoire. »
Le cinéma doit jouer son rôle. pour mobiliser nos ressources créatives
Création de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires, rôle éducatif ou inspirant, le cinéma et ses protagonistes peuvent participer à la prise de conscience écologique que les signataires appellent de leurs vœux. « Nous croyons profondément que le cinéma doit jouer son rôle pour nous aider à regarder ces réalités en face, mais également pour mobiliser nos ressources collectives et créatives. »
Les signataires de la tribune appellent également le monde du cinéma à proposer d’autres représentations de l’avenir. « Depuis plusieurs années maintenant les héros sont aussi des héroïnes, nos histoires mettent en scène des personnages gays, trans, de toutes les couleurs de peau et nous laissent espérer que les enfants et les adolescents qui se construisent avec ces représentations ne verront pas le monde comme ceux qui ont été biberonnés aux films ou aux séries des années 80 ou 90 où des hommes blancs et hétérosexuels régnaient sans partage. »
De la même façon, le cinéma peut montrer de nouvelles histoires qui mettent en scène « d’autres façons de se déplacer, d’habiter, d’autres relations avec les animaux, les arbres et les océans. Des histoires qui racontent de quelle façon nous pourrions sortir de ce pétrin. D’autres qui imaginent comment nous vivrions demain, en sortant des éternelles dystopies apocalyptiques ou des fantasmes ultra-technologiques. »
Signataires : Cyril Dion, réalisateur d’Animal, Aïssa Maïga, réalisatrice de Marcher sur l’eau,
Flore Vasseur, réalisatrice de Bigger Than Us, Louis Garrel, réalisateur de La Croisade, Marie Amiguet, réalisatrice de La Panthère des Neiges, Marion Cotillard, productrice de Bigger Than Us, Magali Payen, fondatrice du mouvement On est prêt.
Les sept long-métrages sélectionnés par le Festival de Cannes
La Croisade de Louis Garrel (France)
Avec Louis Garrel, Laetitia Casta, Joseph Engel
Ce troisième film de l’acteur Louis Garrel a été coécrit avec Jean-Claude Carrière, disparu en février dernier. Une fiction dans laquelle les enfants prennent le pouvoir pour protéger la planète. Une fable d’anticipation à la fois urgente, drôle et charmante, sur l’embourgeoisement des adultes face aux inquiétudes des enfants qui comptent bien se sauver par eux-mêmes.
Marcher sur l’eau d’Aïssa Maïga (Niger-France)
Entre 2018 et 2020, Aïssa Maïga est allée au Niger, filmer un village victime comme tant d’autres du réchauffement climatique. Elle y suit une petite fille qui, dans l’attente d’un hypothétique forage, est obligée de parcourir chaque jour des kilomètres pour rapporter de l’eau. L’accès à l’eau corrélatif à l’accès à l’éducation des filles dans les pays d’Afrique subsaharienne ? C’est aussi l’un des sujets de ce film passionnant.
Invisible Demons de Rahul Jain (Inde)
Un documentaire choc au constat effrayant sur la pollution en Inde à New Delhi, et ces « démons invisibles » que sont les particules fines. La caméra de Rahul Jain tente de respirer et de se frayer un chemin à travers cet enfer écologique en donnant à voir autant qu’à réfléchir.
Animal de Cyril Dion (France)
Six ans après l’immense succès de Demain, le documentaire qu’il avait coréalisé avec Mélanie Laurent, Cyril Dion alerte sur l’extinction des espèces en suivant deux adolescents engagés qui posent des questions pleines de bon sens pour expliquer l’effondrement de la biodiversité et trouver des solutions concrètes. Un tour du monde pédagogique à hauteur d’ados et un éveil des consciences dénué de catastrophisme.
I Am So Sorry de Zhao Liang (France – Chine)
Douze ans après être venu présenter en séance spéciale à Cannes : Pétition – La Cour des plaignants, Zhao Liang propose un nouveau documentaire ambitieux et nécessaire, poétique et exigeant, sur les dangers du nucléaire. Un voyage de Tchernobyl à Fukushima, qui rend la catastrophe tangible.
Bigger Than Us de Flore Vasseur (France)
La documentariste Flore Vasseur suit Melati, une jeune indonésienne qui se bat contre la pollution plastique dans son pays, au cours d’un périple qui l’emmène loin de chez elle. Coproduit par Marion Cotillard, Bigger Than Us va à la rencontre de jeunes activistes qui luttent pour le climat, la justice sociale et les droits fondamentaux comme la liberté d’expression ou l’accès à l’alimentation et à l’éducation. Un modèle de résistance positive pour la jeunesse.
La Panthère des neiges de Marie Amiguet (France)
Bien au-delà des codes du genre du film d’expédition, Marie Amiguet pose sa caméra sur les hauts plateaux tibétains en compagnie du photographe animalier Vincent Munier et de l’écrivain aventurier Sylvain Tesson qui évoqua l’aventure dans son livre « La Panthère des neiges », prix Renaudot 2019. Réussiront-ils à apercevoir le félin ? Dans la captation de l’attente, le saisissement du silence, le déroulement des jours et la force de la nature, surgit une évidence : celle de la beauté du monde.