Ophélie Damblé - Ta Mère Nature - © Elliot Broué

Du champ à l’assiette

Ta Mère Nature : comment Ophélie Damblé encourage à se réapproprier la ville à grands coups de verdure

By Maxime Gueugneau

March 31, 2021

Dans l’impitoyable univers des influenceur.ses, il y a les plastiques photos de barbes taillées et de lèvres charnues, sur fond de couchers de soleil dubaïotes. Et puis il y a les gros plans sur les trottoirs d’Aubervilliers, avec une préférence pour les nids de poules et les terrains désaffectés. On rangera Ophélie Damblé, alias Ta Mère Nature, dans la seconde catégorie. « Moi, à 30 piges, je ne suis pas dans la course aux likes. L’important ce n’est pas la quantité des gens qui te suivent, c’est la qualité. » Sage parole qui n’empêche pas la Parisienne d’avoir son petit nom sur les réseaux sociaux, dans le domaine de l’écologie hyper active. On l’a même vue dans l’émission « Silence, ça pousse » de France 5. Alors, on dit quoi là ?

Coach Légume

Si elle retient autant l’attention, c’est que, via ses comptes YouTube et Instagram, Ophélie Damblé, alias Ta Mère Nature, a su se rendre accessible à tous. Ses blagouzes, son ton direct et ses danses de la pousse ont fait d’elle une anomalie bienvenue dans un univers régi par les annonces d’apocalypse et les indignations au carré. « C’est bien de dénoncer, c’est bien d’être en colère. C’est même un super outil. Mais il ne faut pas faire que ça. Il faut qu’on soit plusieurs. Et moi mon rôle, c’est d’être un coach. Un coach légume. » Le genre de ligne qui clignote sur un CV.

« Moi, mon rôle, c’est d’être un coach. Un coach légume. »

En terme de parcours professionnel, celui d’Ophélie Damblé ressemble à s’y méprendre à une course d’orientation niveau confirmé. Avant de se reconvertir dans l’activisme environnemental, elle est passée par pas mal de tout et un peu de n’importe quoi. « J’ai fait des études dans le théâtre et le cinéma, donc j’ai beaucoup évolué là-dedans, mais aussi dans la musique. J’ai fait de l’événementiel, des jobs alimentaires : vendeuse, serveuse, barmaid… qui permettaient de faire des tas de choses à côté, que ce soit le site Retard Magazine ou mes différents groupes de musique. J’ai aussi fait du doublage de voix, de la chronique radio, des piges… » On a dit course d’orientation ? On voulait plutôt dire une méchante course de moto-cross.

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Jusqu’à cette fameuse ligne d’arrivée : « Mon dernier job en date avant de faire les vidéos, c’était dans la publicité. Je le notifie parce que, d’une part, c’est la première fois que j’étais bien payée et que j’ai pu mettre de l’argent de côté. Et aussi parce que là, j’étais dans un système complètement absurde et même un peu indécent en terme de budget. Je pense que ça a un peu accéléré les choses. »

Capitale verte

Vient le temps, alors, de la remise en question que suit naturellement le phénomène bien connu de la table rase. « J’ai commencé à me rendre compte du décalage entre ce que je lisais et mes jobs du quotidien qui étaient complètement déconnectés de ça. Je culpabilisais beaucoup. Ça a été un long cheminement de plusieurs années. Et puis le coup de pied au cul qu’il fallait est arrivé lors de la rupture avec un ex, une rupture amoureuse qui m’a donné l’élan qui me manquait pour changer de situation. J’ai fait ma petite crise de la vingt-huitaine où j’ai envoyé bouler le job, le mec, Retard et je suis partie. »

« Je voulais rentrer en ville pour participer à sa transformation. »

La fougueuse Parisienne s’en va prendre son baluchon et la route de la campagne. Bercée par ses lectures sur l’agriculture et son impact, elle décide de potasser le sujet, les mains dans la terre. Mais un chat vient se fourrer dans sa gorge : Ophélie Damblé a le mal du pays. « Je suis partie me former à la campagne et c’est comme ça que je me suis rappelé pourquoi j’avais tout fait pour en partir. Moi, originaire d’Ariège, je suis venue à Paris parce que j’adore sortir, j’adore qu’il y ait du monde, organiser des tonnes de fêtes. Et donc, quand j’en suis partie, la ville m’a manquée. » Il fallait donc rentrer au plus vite et user de ce nouveau savoir-faire. « Je voulais rentrer en ville pour participer à sa transformation. »

Mon jardin punk

Cette période est également celle des premières vidéos, celles de l’initiation, celles qui la rendent humaine après tout. Et elle y met déjà ce qui fera son identité plus tard : un mélange de savoir et de nonchalance, de dérision et de transmission. Et le plan se déroule sans accroc, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de plan. « Je me disais que ça me tiendrait un rythme et puis ça ferait une sorte de carnet de voyage pour mes proches, qu’ils puissent suivre ce que je fais et où j’en suis. Je n’avais pas forcément réfléchi à monter une chaîne YouTube. Et en montrant mon premier reportage à une copine, elle m’a dit  »Mais meuf, il faut trop que tu montres ça sur YouTube, on s’en fout, vas-y montre tes trucs et t’auras des retours ». »

« Les choses mal faites, ça a toujours été une sorte d’esthétique. »

Ses années théâtre et cinéma l’ont habitué au maniement de la mise en scène et de la comédie. Pourtant, l’approche est résolument yolo. Un alliage qu’elle tient de ses années punk comme un mantra. « Dans tous mes projets, ça a toujours été une sorte d’esthétique, les choses mal faites. Je jouais dans des groupes de punk et avec Retard, on était vachement là-dessus aussi. Ce truc du DIY qui dit, on s’en fout si ce n’est pas parfait, mais au moins on l’a fait. » C’est donc parti, en roue arrière, sur l’autoroute du changement de vie, les vidéos dans une poche et les techniques agricoles dans le coffre. Il ne manquait plus que de trouver le chemin adéquat.

Plantez, partout !

« Vous n’avez pas besoin d’avoir du terrain. Réappropriez-vous l’espace. »

Après avoir coché la case agriculture urbaine, elle sent qu’il lui manque un truc. C’est trop… pas assez… « Je me suis éclatée, mais je me suis aperçue que c’était souvent dans des lieux qui n’étaient pas accessibles à tout le monde et ce qu’ils produisent étaient plutôt dédié aux classes aisées. » Voilà. Alors, Ophélie bifurque. « J’ai vu passer le principe de Guerilla Green. Je me suis dit que c’était génial parce que ça concernait l’espace public et que, donc, ça concernait tout le monde. De dire aux gens  »Vous n’avez pas besoin d’être un expert, vous n’avez pas besoin d’avoir du terrain mais juste réappropriez-vous l’espace. » Et puis j’aimais bien aussi sortir du cliché  »si tu plantes des arbres, t’es un bisounours. » »

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La Guerilla Green est un concept hérité des Diggers anglais du XVIIe siècle qui cultivaient des terres privées sans trop demander l’autorisation. Il a été remis au goût du jour par Liz Christy et son groupe d’activistes qui, dans les années 70 à New York, plantaient en mode vandale les terrains oubliés pour nourrir la population. Aujourd’hui, le concept a fait le tour du monde et concerne aussi bien les quartiers rudes de Ron Finley à Los Angeles que les zones déshéritées de Tokyo, grâce aux Vallicans Harvest. L’idée, en gros, c’est : plantez, partout, tout le temps et après, on verra. Ophélie Damblé ça, ça lui plait.

« Le côté street culture me parle bien plus que tous les codes associés aux écolos. »

« J’aimais bien ce côté street culture qui me parle bien plus que tous les codes habituellement associés aux écolos. Il y a aussi une dimension féministe. Parce que quand je jardine dans l’espace public, il y a une forme de réappropriation en tant que meuf. Et pour moi, c’est très puissant. Il y a ce truc de réancrage, de réenracinement. Ça fait un double truc militant. Je suis une meuf, je ne suis pas que de passage, je m’enracine. Je montre que je suis là, pacifiquement, en faisant quelque chose pour la communauté. Ça ouvrait sur une dimension bien plus citoyenne et accessible. »

Guide de survie végétale en milieu urbain

Alors, la vidéaste slash agricultrice parisienne s’y met, à coup de tuto, de reportage in situ et d’actions pirates. Elle en fera même des livres, qui lui donneront officiellement l’écharpe de mascotte française du mouvement. Et un truc solide à montrer pour ceux qui pensent qu’Internet va passer de mode.

Guerilla Green – Guide de survie végétale en milieu urbain
« Ce qui est trop bien avec la BD, c’est que tu n’es pas vendu au rayon jardinage. »

« Les livres, c’est un truc de fou. Ça m’est tombé sur le coin de la figure. Moi, j’avais jamais envisagé d’écrire de livres. » C’est pourtant bien ce qui lui est arrivé. Deux fois, même. Le premier, Guerilla Green, se fera sous forme de BD. Engrainée par son ami d’enfance, l’auteur et dessinateur Cookie Kalkair, elle s’embarque dans l’aventure. Elle lui donne le fond, une palette de couleurs et roule : l’équipe réalise un guide introductif aux combats d’Ophélie Damblé. Ce qui leur permet, entre autres avantages, de sortir de la sphère interneto-écologiste. « Ce qui est trop bien, avec la BD, c’est qu’on n’a pas été vendus au rayon jardinage mais au rayon BD. Ce qui fait que ça touche encore un autre public. » Le livre se voit et est vu. La machine se met en branle et Ophélie Damblé se faire doucement draguer. « Après, il y a trois maisons d’éditions qui sont venues me voir pour faire un livre sur la végétalisation urbaine. Moi j’hallucinais. » Rebelote, donc, dans un format plus pédagogique avec le Manifeste pratique de végétalisation urbaine en collaboration étroite avec la graphiste et illustratrice Julie Céré.

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« Professionnellement parlant, quand tu as écrit un bouquin, on te prend plus au sérieux. Ça change tout. Le truc des vidéos sur YouTube, c’est bien pour parler aux djeun’s, mais les vieux ont eux encore besoin de supports papier. » Son public, qu’elle voulait large, trouve encore ici matière à s’agrandir, touchant celles et ceux qui ne traînent pas sur Instagram et qui ne savent pas prononcer YouTube.

En direct des toits de Pantin

Après avoir arpenté les rues de Paris et les rayons de bibliothèques, il ne manquait à Ophélie Damblé qu’un point d’ancrage, un lieu à elle. « L’année dernière, je me suis un peu imposée du côté de la Cité Fertile pour monter une pépinière. » Ce petit coin de terre sur le toit du bâtiment de Pantin lui permet encore d’ajouter une corde à son arc et de quoi diversifier son audience.

« À la Cité Fertile, j’ai trouvé le bon équilibre entre le dire et le faire. »

« La Cité Fertile, c’est un tiers-lieu qui accueille des événements culturels, un restaurant, des associations, des entreprises. Il y a tout un écosystème, ce qui me permet d’avoir un tas de publics différents. Sur les réseaux sociaux, je communique beaucoup sur le grand public, mais en semaine j’ai des collèges, des maisons de quartier, des entreprises. J’adore cette diversité de public que je peux accueillir entre les jeunes des quartiers populaires et les cadres. » Elle a trouvé ici un chez elle, l’espace parfait pour se poser entre les deux chaises qu’elle a choisi. « J’ai trouvé le bon équilibre entre le dire et le faire. Avant la Cité Fertile, j’avais des moments où je faisais trop et je n’avais pas le temps de faire les vidéos, et des moments où c’était l’inverse. »

Certes, Pantin n’est pas Dubaï et la course aux likes ne se fait pas sur les tours de béton. Mais ça à l’air d’être raccord avec la philosophie du projet global. « J’aime bien la micro-échelle. Les petites pousses dans les fissures de mur, les petites actions, tant qu’elles sont dans l’espace collectif elles ont tout le mérite d’exister et tant que tu les partages, ça peut pulluler. Comme ma pépinière qui est micro aussi, sur un tout petit territoire. J’aime bien ça. Et même mon projet perso, je ne cherche pas à en faire une multinationale avec 15 employés. » Tant mieux, ça permettra à Ophélie Damblé de continuer à nous faire rire en nous montrant le chemin des possibles. « Je ne veux jamais perdre l’enthousiasme de faire ce que je fais. On est très vite sur des sujets qui peuvent être anxiogènes. Moi, je veux continuer à m’amuser, à me marrer donc je ne veux surtout pas m’enlever ce côté un peu rigolo. »