Depuis 32 ans, le festival Chauffer dans la noirceur se propose de mettre la fête au service du pays de Coutances, territoire rural de Normandie. Dans un site naturel préservé, face à la Manche, l’événement accueille chaque année une cinquantaine d’artistes émergents et près de 17 000 festivalier·es. Le tout pensé avec un certain esprit de débrouille, du soin et une attention aux enjeux écologiques.
Cette année, la 32e édition du festival Chauffer dans la noirceur se tiendra du 12 au 14 juillet. À nouveau, la programmation sera tournée vers la diversité des musiques actuelles indé : la soul du Sénégalais Fadaa Freddy, le gypsy punk de Gogol Bordello, l’électro de Tentative, le rap indé d’Hugo TSR, la pop d’outre-manche de Lusaint ou encore le reggae des Californiens de Groundation. Et comme chaque année, « Chauffer » accueillera sa grande bande d’habitué·es.
« Ce festival, c’est ma deuxième grande histoire d’amour ». Pour raconter son idylle avec le festival normand, Annabelle Ledanois ne mâche pas ses mots. Pour celle qui est aujourd’hui présidente de l’association organisatrice, l’histoire commence dans l’adolescence, comme festivalière, puis dans sa vingtaine, comme bénévole chargée des déchets. C’est cet « entre-soi chaleureux tourné vers l’extérieur » trouvé dans l’équipe organisatrice qui l’encourage à revenir les années suivantes, jusqu’à intégrer le Conseil d’administration.
La culture de la débrouille
Aujourd’hui, Annabelle est intarissable lorsqu’elle raconte les moments de fête et de découvertes artistiques. Le décor « somptueux, fragile et sensible » du festival qui apporte son lot inséparable de « contraintes et d’émerveillement » mais aussi l’attention à l’environnement dans l’ADN de l’événement. Car au-delà des contretemps administratifs ou météorologiques qu’elle a appris à aimer grâce à l’énergie du collectif, c’est aussi le grand « esprit de la débrouille » qui irrigue les 32 ans du festival.
Au-delà d’une fête qui réunit chaque année 17 000 festivalier·es et 500 bénévoles dans le petit village de Montmartin-sur-Mer (Manche), « Chauffer » est d’abord raconté comme une aventure humaine qui se déploie toute l’année autour d’une manière de faire la culture autrement, et ce depuis sa naissance en 1993.
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À l’époque, tout part d’une rencontre entre musicien·nes de Basse-Normandie et du Québec, et de l’envie d’organiser ensemble une belle fête pour « conduire la nuit » – « chauffer dans la noirceur » en québécois. La fête s’installe au bord de la Manche, au milieu des dunes, sur un site naturel classé par le Conservatoire du littoral. Une proximité directe avec un milieu naturel d’exception qui relie depuis lors le festival et son environnement immédiat.
Jouer la carte du collectif
Pour cette prochaine édition, c’est à nouveau l’équipe coordonnée par le doyen des bénévoles qui conduira la navette 9 places transportant les festivalier·es où ils/elles le souhaitent dans un rayon de 20 km. Une solution mise en place pour faire face aux lacunes des transports publics, et au recours à la voiture individuelle qui alourdit le bilan carbone de l’événement et donnent lieu à des casses-têtes logistiques au parking.
Cette année, une autre partie de l’équipe se lancera dans un « bivouac de la transition » : un voyage d’une semaine à vélo, dans le Coutançais, pour encourager les festivalier·es à enfourcher la selle pour venir l’année prochaine.
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Preuve que cette culture de la débrouille se double au fil des années d’une certaine expertise, l’association mutualise depuis plusieurs années son parc de toilettes sèches – habilement nommé Copeaux dans la noirceur – avec d’autres festivals de la région, dont Papillons de Nuit. Et expérimente au passage les savoir-faire et les protocoles de mutualisation encore rares, et donc précieux, dans le secteur culturel.
Un chantier de transformation sur les enjeux d’énergie a également été engagé à travers l’acquisition d’un système son Pikip Solar Speakers, alimenté par énergie solaire, et la réalisation d’un diagnostic énergétique sur l’une des scènes du festival. Les données de ces expérimentations seront partagées au sein de réseaux régionaux et nationaux engagés dans la transition écologique, tels que l’association Normandie Solidaire en faveur de l’économie sociale et solidaire ou le Syndicat des musiques actuelles.
« On ne va pas se contenter de reproduire le réel, mais bien le transformer »
Côté programmation, Chauffer dans la noirceur tente de conserver un tarif abordable et de faire de la place aux artistes émergent·es en restant autant que possible éloigné de la course aux têtes d’affiche. Face à la multiplication des festivals voisins, le cap n’est pas toujours facile à tenir, mais l’association fidélise son public par l’esprit singulier du festival et son lot de découvertes artistiques. Ainsi, Zaho de Sagazan, Clara Luciani, Worakls Orchestra ou encore Fakear sont passé·es par Montmartin-sur-Mer ces dernières années.
Le circuit court n’est pas en reste, avec en journée un espace gratuit qui mêle art et engagement, la bien-nommée « Bulle d’eau z’air », où retrouver concerts, spectacles de cirque et de danse par des artistes locaux. S’y trouvent aussi des ateliers autour des enjeux écologiques, ou de sensibilisation aux risques en milieu festif. « On ne va pas se contenter de reproduire le réel, mais bien le transformer, le sublimer, le dénoncer, le questionner » annonce l’équipe du festival sur son site internet pour introduire cette 32e édition.
« On ne va pas se contenter de reproduire le réel, mais bien le transformer »
En soutien à la scène régionale, l’association a aussi monté un label, Tour2chauffe. Ce dernier accompagne une vingtaine de groupes émergents dans la recherche de dates de concerts et dans l’organisation d’actions culturelles sur le territoire.
Chauffer dans la noirceur organise aussi toute l’année des concerts et festivals à plus petite échelle, comme l’événement 100% féminin les Demoiselles en campagne, ou la Bamboche des bambins, pour les enfants. Des initiatives vitales pour le territoire pour Annabelle Ledanois. « On est convaincu·es que la culture est un des éléments indispensables à la santé globale. En tout cas, tous ces projets nous font beaucoup de bien ».
Festival Chauffer dans la noirceur du 12 au 14 juillet à Montmartin-sur-Mer (50). Toute la programmation et les infos pratiques sur le site du festival.