Quelle est la quête de mon personnage ? Se déplace-t-il en avion ou en train ? Autant de questions proposées par le Guide de l’Écran d’après aux pros du cinéma et de la télévision pour modeler leurs récits. Un vrai tuto pour réinventer nos imaginaires, de l’écriture à la distribution. Et une petite révolution en coulisses, qui séduit jusqu’à l’étranger.
Un simple regard sur l’histoire du cinéma occidental du XXe siècle dit combien celui-ci a modelé les imaginaires contemporains. Conquêtes, conflits, vitesse, puissance, technologie, et bien sûr, argent-roi… Dans ses thèmes comme par ses modes de production, la création audiovisuelle a bien souvent été le reflet de notre ignorance des limites planétaires. Et s’il fallait désormais ré-axer nos récits pour construire un imaginaire plus en phase avec les enjeux environnementaux ?
Telle est la question soulevée par le projet L’Écran d’après. Ce travail d’une bonne année, réalisé avec et pour les professionnel·les de l’image, vient d’accoucher d’un guide en trois parties – pour trois secteurs distincts, écriture ; production-réalisation ; diffusion-distribution – pour aider les pros à questionner leurs pratiques et leurs récits, tout enrichissant leurs réflexions. Avec une méthodologie originale : une grille de questionnements à consulter tout au long de la création.
L’Écran d’après se présente ainsi comme un petit tuto complet et pratique pour développer nouveaux récits, et porter une attention particulière aux impacts liés à la production, comme à la diffusion. De quoi susciter de l’intérêt jusqu’à l’international : la version anglophone du guide sera disponible et présentée le 18 mai prochain au Festival de Cannes. On en parle avec Caroline de Chantérac, directrice des programmes Culture chez Sparknews, agence dédiée à l’émergence de nouveaux récits à dimension écologique et sociale, à l’origine du projet.
Pourquoi avoir lancé le projet L’Écran d’après ?
Caroline de Chantérac : La fiction a ce pouvoir de pouvoir porter des messages auprès du grand public. Pourtant, en échangeant avec les acteur·ices de l’audiovisuel, on s’est rendu compte que les enjeux sociaux et environnementaux étaient très souvent traités par le prisme du documentaire. On pense que ces sujets n’intéressent personne. Or, ce n’est pas vrai. Les sujets écologiques et sociaux trouvent leur public.
De nombreux succès au cinéma ou en séries ont intégré ces éléments sans être estampillés films écologiques ou sociaux. Le dernier exemple en date, c’est Avatar. Mais il y a aussi Au nom de la terre avec Guillaume Canet qui interroge nos liens avec l’agriculture, ou des séries TV comme Clem sur TF1, qui intègre les enjeux du monde contemporain avec une héroïne qui adopte des comportements écoresponsables, qui se déplace en vélo, fait du compost, etc.
« On n’est pas là pour cocher des cases ou imposer une certaine vision du futur »
On constate dans le même temps que les enjeux climatiques, et de préservation de la biodiversité, sont aujourd’hui au cœur des préoccupations des Français. C’est donc aussi stratégique pour le secteur d’intégrer ces enjeux dans la fictions. Dans le même temps, les pros de l’audiovisuel disent manquer d’outils pour accompagner et sensibiliser le secteur.
Sparknews s’est associée avec Get The Moon, une agence liée au secteur de la production, pour amorcer une grande démarche collective. Celle-ci a réuni des acteurs majeurs du cinéma et de la télévision comme les Studios Canal, France Télévisions, Mediawan ou Pathé, et a abouti à la co-construction du « Guide de l’écran d’après ».
En quoi consiste ce guide ?
Ces trois guides, une version par métier – auteurs ; producteurs et réalisateurs ; distributeurs et diffuseurs – prennent la forme d’une grille de questions à imprimer et à garder près de soi quand on travaille un scénario. Ce sont des questions très ouvertes autour de trois grandes thématiques : le profil des personnages, la quête des personnages et le modèle de société qui sert de décor à l’histoire.
Par exemple, on interroge les caractéristiques des personnages, ce qui les rend heureux, leur sensibilité aux enjeux sociaux et environnementaux, ou encore la place laissée à la nature dans l’histoire. Est ce qu’on va parler de consommation locale, de saison, de gaspillage, de recyclage ? Va-t-on montrer des accessoires à l’écran qui ont un fort impact environnemental et si oui, ont-ils une valeur ajoutée pour l’histoire ? Sinon, peut-on les laisser de côté, ou potentiellement remplacer un taxi par un vélo ?
Le but est d’interroger les automatismes d’écriture et de construction du récit. Ensuite, libre à chacun·ice d’apporter ses propres réponses. On n’est pas là pour cocher des cases, pour pousser des quotas ou pour imposer une vision d’un certain futur. Et souvent, ce qui est ressorti de la phase d’expérimentation du guide, c’est que cette démarche enrichit le récit et la créativité. Il ne faut surtout pas le voir comme une contrainte.
Y a-t-il des freins rencontrés par les professionnels du cinéma pour intégrer des enjeux sociaux ou écologiques dans leurs fictions ?
La plus grande peur des pros était que la démarche contraigne la liberté de création. C’est pour cette raison que nous avons a opté pour une série de questions, afin de susciter la réflexion sans apporter de réponses toutes faites. Cette condition était nécessaire pour toucher largement, dont les non convaincus, et pour pouvoir être utilisé sur tout type de fiction, quel que soit le format ou la trame narrative.
« Leur plus grande peur était que la démarche contraigne la liberté de création »
L’enjeu est de créer une dynamique au niveau de l’ensemble de la chaîne audiovisuelle. Un·e auteur·ice seul·e ne peut pas porter seul toute la démarche, il a aussi besoin du / de la producteur·ice et du / de la distributeur·ice. En cela, nous sommes ravis que de gros studios et diffuseurs aient participé à nos ateliers et fassent aujourd’hui partie de cette aventure.
Le site L’Écran d’après propose un centre de ressources pour informer et mobilise les professionnels sur la durée. Il y a des chiffres clés, des liens vers d’autres organisations engagées, ou des études qui leur permettent de nourrir leurs connaissances sur la transition écologique de l’audiovisuel. Tout est en open source, accessible gratuitement.
Concrètement, quelle portée a aujourd’hui ce guide ?
Notre démarche a suscité un réel enthousiasme. Le guide continue de vivre grâce aux équipes qui le portent en interne et qui le présentent auprès de leurs collaborateurs. Et puis récemment, les studios Newen et MediaWan ont intégré le guide dans leur charte d’éco-responsabilité pour demander à leurs auteur·ices et leurs producteur·ices de travailler avec cet outil sur les fictions à venir.
Le guide suscite aussi beaucoup d’intérêt à l’international, et nous sommes très heureux de lancer la version anglophone de cet outil sous le nom de « Screens of tomorrow » le 18 mai prochain au Festival de Cannes.
Consulter le guide de l’Écran d’après gratuitement en ligne.