Du 20 au 27 février, le festival de cinéma Travelling est de retour à Rennes. Tournée vers Taipei, sa sélection fait dialoguer les cinémas taïwanais, européen et breton en s’intéressant à ce que les films racontent sur leurs territoires. Avec toujours le goût de créer des ponts entre les cultures, les arts et les publics, pour célébrer le cinéma, cet art populaire qui reste « l’un des meilleurs moyens de voyager ».
Chaque année depuis 35 ans, le festival Travelling invite une capitale étrangère à Rennes. Le temps d’une semaine, les salles de cinéma deviennent des lieux de voyage à la découverte d’une ville, de ses habitant·es, de son architecture, de ses marges… Le tout guidé par le regard singulier des réalisateur·ices mis·es à l’honneur par l’association organisatrice, Clair Obscur.
En 2024, Travelling fait venir Taipei à Rennes. La capitale taïwanaise sera explorée à travers la vitalité de son cinéma, donnant à voir une ville aux identités plurielles, « à la fois ville-hightech, ville-aliénante, ville-fantôme et ville-libre ».
Territoires cinématographiques
Car au Travelling, le 7e art n’est pas hors-sol. Il s’ancre quelque part et dispose de sa propre géographie. Cette 35e édition proposera ainsi une grande promenade dans les rues et dans l’histoire de Taipei. De l’effervescence artistique de la fin des années 1980, au moment où la démocratie s’installe sur l’île, jusqu’aux œuvres contemporaines marquées par l’instabilité géopolitique et la diversité des influences culturelles.
Dans un tel contexte, « le cinéma se dresse comme un rempart contre l’oubli et un espace de projection des revendications de sa population », explique Clair Obscur pour introduire la programmation. Une attention qui se dessine dans les focus sur « le cinéma aborigène » et sur le réalisateur Edward Yang, ainsi que dans la présence à Rennes des cinéastes taïwanais Singing Chen, Lee Mi-Mi et Midi Z.
En écho à cette conviction que le cinéma prend tout son sens quand il dialogue avec un territoire, le Travelling organise UrbaCiné, une compétition de courts métrages francophones autour des liens entre ville et cinéma. L’occasion de mettre en avant des cinéastes qui appréhendent la ville comme lieu de bouillonnement artistique, source d’inspiration, décor et personnage à part entière.
De même, la sélection À l’Ouest met en lumière la richesse du cinéma issu de Bretagne, à travers un partenariat avec Films Grand Huit, société de production basée à Saint-Pierre-Quiberon (Morbihan). « On part du cinéma pour donner à voir une partie du monde, tout en restant nous-même ancré·es dans notre territoire » résume Anne Le Hénaff, responsable artistique de Clair Obscur.
Construire le regard
S’il peut être une fenêtre vers l’ailleurs, le 7e art est aussi un levier d’éducation, de curiosité et de transmission. « Il construit le regard, permet l’expression, libère la parole » s’enthousiasme Anne Le Hénaff. Le Travelling s’est alors doté d’une section entièrement dédiée aux enfants et aux adolescents, le Junior. Au programme : une sélection de films autour des imaginaires de l’île, et une compétition de films courts internationaux départagés par un jury d’enfants de 8 à 10 ans.
Clair Obscur mène également des actions d’éducation à l’image tout au long de l’année dans les établissements scolaires, centres sociaux, hôpitaux ou centres pénitentiaires. Une manière de s’assurer que le cinéma reste « un art populaire et accessible », explique Margaux Dory, salariée de l’association. Le festival a en outre mis en place des tarifs différenciés et un dispositif « billets suspendus » permettant aux spectateur·ices de participer au financement de places à destination de publics précaires.
Dans le sillon de l’accessibilité, le festival travaille avec l’association locale Zanzan Films pour faciliter la venue des personnes en situation de handicap. « La force de ce festival c’est de faire rencontrer des mondes et des territoires qui n’ont pas l’habitude de se voir » explique Margaux Dory, faisant autant référence aux passerelles culturelles qui se créent avec la capitale invitée qu’à la mixité des publics à l’échelle locale.
Quand la puissance du cinéma sort des salles
Au-delà des projections, le Travelling se conçoit comme un moment artistique à l’échelle de la ville. Des ciné-concerts, des ciné-spectacles, des concerts d’artistes locaux et taiwanais au Liberté, des œuvres en réalité virtuelle, une exposition photos aux Champs Libres, une rencontre autour du jeu vidéo Hellblade – Senua’s Sacrifice… De quoi montrer que même si le cinéma « trouve son écrin naturel dans une salle », pour reprendre une jolie formule d’Anne Le Hénaff, il peut aussi résonner fort avec d’autres formes artistiques.
Tous ces engagements, c’est aussi une manière de respecter les propositions artistiques
Des rencontres professionnelles sont organisées en parallèle, rassemblant la filière audiovisuelle autour de la co-production de courts métrages à l’échelle européenne et la mise en avant de l’écosystème régional. Clair Obscur en profite aussi pour amener la transition écologique du secteur sur la table, avec une après-midi dédiée à « l’image et les moyens techniques sous l’angle de l’éco-production ».
Car sans surprise, le festival la joue collective sur l’éco-responsabilité. Les dispositifs mis en place à Rennes – tri des déchets, partenaires locaux, incitation aux mobilités douces, éco-conception des décors, alimentation bio, locale et végétarienne à 75% – prennent racine dans le Collectif des festivals, association réunissant une trentaine d’événements implantés en Bretagne et désireux de réduire leur empreinte environnementale. « Tous ces engagements, c’est aussi une manière de respecter les propositions artistiques », conclut Margaux Dory.
Et comme le Travelling, c’est avant tout du cinéma, focus sur trois œuvres qui seront projetées à Rennes.
THE TERRORIZERS de Edward Yang
Taïwan, 1986, 1:49, vostfr, avec Cora Miao, LEE Li-Chun, KING Shih-Chieh
Les mots d’une écrivaine, un téléphone, un appareil photo et une arme à feu, c’est tout ce qu’il faut pour que trois couples se croisent, se rencontrent, s’aiment, se déchirent, s’oublient… Le deuxième long métrage d’Edward Yang est un conte urbain, complexe et humain, offrant un regard sans concession sur l’évolution de la société taïwanaise. Un thriller choral tendu et élégant.
DISCO BOY de Giacomo Abbruzzese
France, Italie, Belgique, Pologne, 2023, 1:32, vostfr, avec Franz Rogowski, Morr Ndiaye, Laetitia Ky
Prêt à tout pour s’enfuir de Biélorussie, Aleksei rejoint Paris et s’engage dans la Légion étrangère. Il est envoyé au combat dans le Delta du Niger où Jomo, jeune révolutionnaire, lutte contre les compagnies pétrolières qui ont dévasté son village. Si Aleksei cherche une nouvelle famille dans la Légion, Jomo s’imagine être danseur, un disco boy. Dans la jungle, leurs rêves et destins vont se croiser.
« Tout premier film, Disco Boy l’est à plus d’un titre. D’abord pour son auteur-réalisateur, Giacomo dessine ici une œuvre unique, épique – tant devant que derrière la caméra – du delta du Niger jusqu’à la piste de danse d’une boîte de nuit, en passant par les terrains d’entraînement de la Légion étrangère. À la découverte de l’autre, ce film a une résonance politique particulièrement forte aujourd’hui. C’est aussi le tout premier long de notre société : co-production quadripartite – équipe internationale : c’est un peu notre Apocalypse Now à nous. Récompensé d’un Ours d’argent à Berlin, le film a été distribué dans plus de 35 territoires. » Les Films Grand Huit.
GOD MAN DOG de Singing Chen
Taïwan, 2007, 1:59, vostf, avec Jack KAO, CHANG Han, Tracy SU
Un couple bourgeois, une famille indigène et un conducteur handicapé, qui sauve des statuettes divines abandonnées, vivent diverses épreuves dues aux déficiences matérielles et spirituelles causées par le consumérisme. Tout en révélant le caractère unique de la culture taïwanaise, Singing Chen signe une rhapsodie où se mêlent les dieux, les animaux et les humains à la recherche de la paix intérieure.