En se promenant dans Rennes les premiers jours de juillet, il est possible de tomber sur une funambule marchant à 20m de hauteur, une foule en pleine danse collective, ou des caravanes suspendues en plein centre-ville. C’est le fruit des Tombées de la Nuit, un festival quarantenaire qui amène spectacles et installations dans les rues et parcs de la ville, organisé du 2 au 7 juillet cette année. De quoi transformer, par l’art, les habitant·es et l’espace public.
« D’habitude c’est la météo qui nous inquiète ». Depuis plus de 40 ans, le festival Les Tombées de la Nuit se déploie dans les rues de Rennes. Le temps d’une semaine, les parcs, places, théâtres et quelques lieux insolites de la ville accueillent des artistes prêt·es à transformer l’espace public en impliquant les habitant·es. Cette année, l’évènement se tiendra du 2 au 7 juillet 2024, avec des dizaines de propositions artistiques qui envoient un message fort au cœur de l’entre-deux-tours des législatives anticipées : pas question de déserter la rue.
Du cirque, du théâtre, des installations, de la danse… La programmation, majoritairement gratuite, se propose de « jouer avec la ville et ses habitant·es », renouant avec l’une des fonctions premières du spectacle vivant : faire lien. L’année dernière, près de 90 000 personnes avaient participé à cette grande fête populaire.
La rue est à nous
Le temps du festival, les Rennais·es pourront ainsi découvrir, suspendus dans des lieux intimes du centre-ville, les quatre « NiDS » du plasticien Jean-Michel Caillebotte. À mi-chemin entre les nids des oiseaux migrateurs et les habitats nomades, ces installations célèbrent et interrogent les passant·es sur les habitats éphémères. « Toute la richesse de ces installations sonores et visuelles, c’est qu’elles portent une poésie, tout en évoquant des sujets profonds et politiques. Chacun reçoit l’œuvre à sa manière » développe Lénaïc Jaguin, directeur de la communication du festival.
Avec la compagnie Maurice et les autres, l’opéra sortira dans la rue pour une adaptation collective du classique Carmen. La metteuse en scène Jeanne Desoubeaux et ses chanteur·euses lyriques reprennent l’œuvre de Georges Bizet en soulignant ce qu’il est : le récit d’un féminicide. « Un Carmen en plein-air, là où elle vit, dans la bohème. C’est une femme libre qui meurt de ses amours, comme certaines encore aujourd’hui », commente Morgane Le Gallic, directrice du festival.
La programmation porte cette volonté de réenchanter le quotidien et l’espace public, en créant des souvenirs collectifs autour de moments de poésie
Et grâce aux Suisses du collectif Ouinch Ouinch, la place Hoche deviendra un dancefloor géant. Les danseur·euses emporteront les habitant·es dans des rondes folkloriques, des pas de clubbing et une transe fédérative, saupoudrée de paillettes, de costumes improbables et de luttes féministes, antiracistes et LGBTQ+.
Que la joie vienne
Voici l’ADN des Tombées de la Nuit : faire advenir des moments uniques. Nombreux·ses sont les Rennais·es qui se souviennent du faux cachalot de quinze mètres de long échoué en 2016 sur les bords de la Vilaine. Ce faux cadavre entouré de scientifiques affolés était en réalité une performance signée par le collectif belge Captain Boomer. De même pour les Supermen bedonnants qui se promenaient dans le métro en 2018, les apparitions de sosies de Mireille Mathieu dans le parc du Thabor, ou la reconstitution geste par geste, mais sans ballon, du match France-Allemagne de 1982, devant les 2 000 spectateur·ices du stade Roazhon Park.
« La programmation porte cette volonté de réenchanter le quotidien et l’espace public, en créant des souvenirs collectifs autour de moments de poésie. Ce sont ces images et ces mythologies communes qui créent les récits collectifs, développe Lénaïc Jaguin, avant de conclure : des récits collectifs qui n’ont jamais été aussi nécessaires ».
Scénographie participative
Au parc St Cyr, centre névralgique de cette 43e édition des Tombées de la Nuit qui accueillera des concerts programmés avec l’équipe du festival I’m From Rennes, trois collectifs d’artistes/architectes/designer – Lost & Find, Les Animé.e.s, Indiens et Indiennes dans la ville – se sont associés pour transformer ce parc de quartier en bulle hors du temps. Avec une contrainte explicite : impliquer les habitant·es dans la scénographie.
Ce sont surtout des temps où l’on montre aux habitant·es qu’ils/elles peuvent s’approprier l’espace public, y vivre des choses fortes
Résultat : des ateliers couture dans un EHPAD et des temps de création de drapeaux et de lampions avec une association locale ont nourri la création de grands mondes oniriques, aux couleurs des Tombées de la Nuit. Des teintes chaleureuse de l’aurore pour l’espace qui accueille des jeux géants pour les enfants, jusqu’aux violet et bleu foncé des « derniers rayons » pour décorer la scène, en passant par les nuances de l’éclipse – du jaune au bleu – dans l’espace bar et restauration.
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« Les moments d’ateliers participatifs ne sont pas toujours les plus productifs, c’est vrai, mais ce sont de beaux moments : on adore voir des retraitées avec des combinaisons et masques en train de faire de la bombe (de peinture), raconte amusée Perrine Cariou, architecte du collectif Lost & Find. Ce sont surtout des temps où l’on montre aux habitant·es qu’ils/elles peuvent s’approprier l’espace public, y vivre des choses fortes »
« Extraire la culture de sa tour d’ivoire »
Dans le même esprit, Les Tombées de la Nuit accompagne des artistes à l’année, sans lieu de résidence, sur des enjeux artistiques ou techniques (comme l’adaptation des œuvres à l’espace public). Ainsi, en 2023, la compagnie Les 3 Points de Suspension a été invitée trois fois la même saison par Les Tombées. « Quand le public crée des liens avec certain·es artistes, il a envie de se replonger dans leur univers, comme on va voir le nouveau film d’une ou d’un réalisateur·ice qu’on aime », témoigne Morgane Le Gallic.
C’est aussi dans cette relation de fidélité et de confiance entre artistes et habitant·es que le festival prend tout son sens politique. En ancrant les créations dans des contextes particuliers, l’art parvient à créer du commun, à questionner le vivre-ensemble et à susciter l’implication des citoyen·nes, d’abord autour de moments puis dans des projets collectifs. De quoi « extraire la culture de sa tour d’ivoire », dans les mots de l’équipe du festival.
Festival Les Tombées de la Nuit du 2 au 7 juillet à Rennes. Toute la programmation et les infos pratiques sur le site du festival.