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Comment Fakear est passé des majors de la musique aux manifs pour le climat

By Jean-Paul Deniaud

September 21, 2021

Lorsqu’on lui demande s’il accepterait d’être présenté comme un « artiste engagé », Fakear répond « c’est compliqué ». Non qu’il soit tout à fait étranger à la chose. Au contraire. Ces derniers mois, on a vu le musicien caennais, dont le titre-phare « La Lune Rousse » a porté bien des rêveries, accompagner la militante Camille Etienne, place de la République à Paris, lors de la Marche pour le Climat. Il était aussi l’un des premiers à rejoindre le pan français du mouvement Music Declares Emergency, qui regroupe de nombreux artistes soucieux de diminuer leur impact environnemental.

C’est plutôt le terme qui l’ennuie, lui qui se voit d’abord comme un renfort aux énergies déjà en place plutôt qu’un artiste à l’aura d’un chanteur à texte. « L’artiste engagé dans l’inconscient collectif, c’est un peu un stéréotype de Tryo tu vois. » Il n’empêche que cet engagement, il s’en réclame, entraînant même quelques tensions avec son ancienne maison de disques Universal. Et que cette conscience de notre lien à repenser avec la nature traverse à la fois son parcours et son travail. Nous avons voulu en discuter avec lui avant son intervention à notre micro, ce mercredi 23 septembre, pour la Paris Electronic Week 2021.

On vous a vu jouer à la dernière Marche pour le Climat, le 17 mars dernier, derrière la militante Camille Etienne. Comment avez-vous vécu ce moment ?

C’était fou. C’était la première fois que je jouais pour une manifestation écolo, pour des valeurs dans lesquelles je me reconnaissais. C’était aussi l’une des premières fois où je jouais à nouveau devant un public. Camille m’avait appelé la veille pour me dire : « Est-ce que tu peux jouer demain place de la République pendant mon discours ? ». C’est un peu son genre de plan. Je l’avais rencontrée au Badaboum, à une réception organisée par sa structure, On Est Prêt, pour laquelle j’avais joué, et on est devenus très copains. On se voit maintenant beaucoup en dehors de tout militantisme.

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C’est un peu Camille qui m’a catapulté dans cette bataille. Même si c’est des valeurs que je défends, je ne suis pas un militant au départ. Ma musique a toujours eu cette espèce de lien avec la nature, quelque chose de très onirique, de retour aux sources. Mais je la défends via un travail d’imagination et d’instinct plus que de posture. D’être propulsé par Camille dans ce milieu essentiel et important m’a sensibilisé à plein de choses. Et ça s’est poursuivi avec Music Declares Emergency, et DJ’s for Climate.

 

Vous jouiez aussi devant La Base, le lieu militant qui regroupe de nombreuses associations environnementales, à Paris, à l’occasion du procès des décrocheurs de portraits. Quelles relations entretenez-vous avec les organisations de défense du climat ?

Tout à fait, et je joue demain au Camp Climat, organisé par Alternatiba près de Melun. Je mets à leur disposition mon nom et ma notoriété. Si cela peut aider à faire venir du monde, c’est le moins que je puisse faire. Je suis novice, et constamment en train d’apprendre ce que chaque organisme fait, ce pour quoi ils militent.

Être écolo, ce n’est pas un parti politique, un positionnement ou une attitude. C’est une nécessité avec laquelle on est forcé de vivre, et qui est essentielle à notre survie et à celle de la planète. Je suis au même stade que ceux qui vont commencer à développer une conscience écologique. Je sais certaines choses, j’adapte un peu ma vie personnelle et mon parcours artistique, mais je ne suis pas un spécialiste.

Vous avez été l’un des premiers artistes français à rejoindre le mouvement international Music Declares Emergency. Pourquoi avoir décidé de les rejoindre ?

« J’aimerais monter des camps d’écriture d’artistes pour imaginer ce que l’on peut faire ensemble »

J’ai découvert le mouvement par l’Angleterre, où mon équipe travaille, et leur approche m’a beaucoup parlé. Lorsqu’un artiste se dit engagé ou écolo, ça devient presque son genre de musique. On lui colle une étiquette « artiste engagé », on le range dans une catégorie, un peu un stéréotype de Tryo tu vois. Music Declares Emergency dépasse ça avec quelque chose de militant ouvert et rassembleur. On est tous dans la même bataille et on va tous se serrer les coudes. Quand j’ai appris qu’un bureau ouvrait en France, j’étais trop chaud.

MDE, c’est une boîte à idées pour les professionnels du spectacle et les artistes afin d’être plus éco-responsables. On aimerait développer le volet artistique pour proposer des alternatives aux tournées, ou au merchandising, sur lequel on peut avoir un impact facilement. En France, les artistes ne se parlent pas beaucoup. Un des défis pourrait être de créer une sorte de camp d’écriture, de séminaire, comme les Camp Climat d’Alternatiba. On regrouperait tous les artistes pour imaginer ce que l’on peut faire ensemble.

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Est-ce aujourd’hui un risque pour un artiste de s’engager dans une telle cause politique ? Cela entraîne-t-il parfois des négociations sur des tournées, ou d’autres aspects ?

C’est plutôt accueilli avec joie et compréhension. L’écologie rassemble aujourd’hui largement, et la communauté artistique est assez ouverte sur le sujet. Au moment de l’élection de Trump, j’ai pris position un peu violemment sur les réseaux pour faire savoir que j’étais anti. Je me suis pris un backlash par une partie de mon public américain qui était pro-Trump. Les gens me disaient de rester à ma place, que mon rôle était de les divertir et de faire de la musique. Mais je reste un être humain qui a parfois envie de véhiculer un message. L’écologie, c’est beaucoup plus chill que les pro-Trump, et puis je ne fais pas une musique qui s’adresse au Medef.

« J’ai dit à Universal : ‘si vous me forcez à faire du merchandising pas éco-responsable, je le balance publiquement.’ Ils ont lâché. »

Dans le même temps, j’ai été pendant 5 ans signé chez Universal, qui est vraiment l’Unilever de l’entertainment. C’est bon tu peux l’écrire, mon contrat est terminé. J’y ai appris beaucoup de choses, et il n’y a pas eu que des mauvaises expériences. Pour le merchandising de mon dernier album, ils avaient donné leur accord pour que je fasse appel à des associations, que la fabrication soit française, que ce soit éco-responsable et local. J’ai contacté les assos, tout était prêt, et au moment de valider, ils ne l’ont pas fait. C’était remonté chez les grandes huiles, je ne sais où, qui ont dit : « ce n’est pas possible, on a notre contrat préférentiel en Chine pour 2 000 T-shirts en plastique avec le logo brodé sur la poitrine, c’est ça ou rien ».

J’étais fou. C’était hors de question. Je leur ai dit : « les gars, si vous me forcez à faire un merchandising qui n’est pas écoresponsable, je le balance publiquement. » Ils ont lâché. Et le Covid est arrivé, il n’y avait pas de concerts, ça s’est tassé. Mais c’était une clause de rupture de mon contrat. Heureusement ça n’a pas eu lieu. C’est un exemple qui m’a beaucoup parlé, qui me fait dire que ces grosses entreprises, c’est terminé. Maintenant, je fais mon truc dans mon coin.

L’environnement a toujours été un élément fort de votre personnalité, et aussi de votre travail en tant que Fakear. D’où cela vient-il ?

Ça vient de mon enfance et de la conscience écologique que mes parents ont hérité de leurs propres parents. J’ai aussi grandi à la campagne, avec une grande proximité avec la nature. Et puis, j’ai aussi grandi avec les films de Miyazaki, qui sont un peu mes Disney à moi, et où ces valeurs sont très présentes. Pour moi, Princesse Mononoké, Nausicaä de la Vallée du Vent ce sont des contes écologiques. C’était mes super héroïnes, et j’ai grandi avec elles.

J’ai aussi connu la musique électronique et la world music par Deep Forest. Le premier album de Deep Forest, tu l’écoutes et tu es dans la forêt. C’est un conte écologique qui te sensibilise à tout ça sans te le dire. Il y a toujours eu dans la nature, la montagne, et ses mécanismes une dimension qui me fascinait, que j’ai admiré comme les gamins admirent les dinosaures ou l’espace. C’est vraiment quelque chose dans lequel j’ai baigné toute ma vie.

Comment cela s’est-il exprimé au fil des années dans votre travail ?

« Princesse Mononoké, Nausicaä de la Vallée du Vent, j’ai grandi avec ces contes écologiques ».

J’ai dès le départ utilisé des samples de musique du monde, parce qu’on en écoutait beaucoup à la maison. D’ailleurs, le terme « musique du monde » est un peu débile, il y a tout le monde à part l’Occident. J’ai samplé des musiques asiatiques, africaines, sud-américaines, et aussi ces dessins animés très oniriques, ces ambiances, qui évoquent un lien à la nature, à cet imaginaire. L’album de Deep Forest m’avait fasciné parce qu’il arrivait, avec des instruments, à recréer une ambiance de forêt de nuit sous la pluie. J’ai cherché à retrouver cette projection, à me dire : « qu’est-ce que j’ai envie de peindre, des montagnes, des forêts ? ». Toujours des images de nature, loin du monde des hommes.

Votre dernier album s’appelle Everything Will Grow Again. Quel sens a ce titre pour vous ?

Il est à la fois optimiste et aussi un peu fataliste. Il vient d’un graff que j’ai vu sur un mur à Portland, dans l’Oregon. En le voyant, j’ai su que ça allait être le titre de mon album. Il dit que tout repoussera de nouveau, mais c’est comme s’il manquait un mot. « Everything will grow again… anyway ». Il est là le sens pour moi. On fait tous ces efforts écologiques pour sauver l’humanité, pas pour sauver la planète. Elle, elle va s’en remettre. À l’échelle de la Terre, l’humanité est là depuis une fraction de seconde. Tout ce qu’on risque, c’est notre propre fin, la nature reprendra ses droits de suite après, et on sera oubliés. C’est sûrement un peu pessimiste, mais je trouve aussi assez rassurant de se dire qu’on est pas grand chose, et que tout repoussera à nouveau.

Je suis en train d’écrire mon prochain album. Il sera plus connecté à la nature, comme un retour à mes premiers disques, très samplés, plus world. Je suis allé plus loin dans cette création d’ambiance, de forêt, de paysages. Il sera un peu plus contemplatif. On rigolait sur le titre à lui donner avec des potes. Ils me disaient : « tu ne veux pas faire une phrase à la suite de Everything Will Grow Again ? En faire une conclusion ? ». On a vu le dernier rapport du Giec, et on était là : « bon ben je vais l’appeler Too Late, ou After Us ».