Le mariage entre vin et musique atteindrait-il son paroxysme avec le vin naturel ? C’est ce que soutient le trio hip hop ASM (pour A State Of Mind), qui met en musique son amour du vin nat’ sur leur dernier disque, Origin & Juice, qui sort ce 15 avril sur Chinese Man Records, et 6 épisodes aussi cool qu’experts sur YouTube. Ils présentent pour Pioche! leur vinothèque essentielle.
Au départ, comme souvent, il y a une idée à la con. Cette fois, c’est celle de Rhino, le beatmaker du groupe. « Un jour, j’ai vu ce type faire des critiques de vin très sérieuses en une minute, avec un débit de mitraillette. Là je me suis dit : et si on faisait la même chose, mais en rap. » L’idée a tout de suite fait mouche chez les deux rappeurs, Green et FP, toujours enclins à tester leurs prouesses lyricales sur des sujets biscornus. Et notoirement amoureux de vin nat’.
Depuis un an, le trio ASM a mis en ligne une dizaine de ces « Natty Rhyme », des chroniques œnologiques de vin naturel – ou natty wine en anglais – sur un beat hip hop. Avec un franc succès. « On ne s’y attendait pas du tout », nous explique Green en visio. « On pensait s’adresser à nos fans mais la communauté du vin naturel défonce. Un certain nombre de vignerons nous ont dit “c’est mortel les gars, on a tout regardé. Envoyez-nous des bouteilles pour qu’on les goûte” ».
En réalité, les Natty Rhyme n’étaient qu’un avant-goût. Dernièrement, le groupe a publié six épisodes de 12 minutes, chacun consacré à un pays d’Europe, où l’un chronique une bouteille de vin naturel quand l’autre cuisine un plat en accord. Ensuite, Rhino prépare le beat, Green ou FP un rap dans le thème, avant de conclure dans un show dégustation en forme de bouquet final. Manière parfaite, et hédoniste, de présenter les six morceaux du nouveau disque d’ASM : Origin & Juice.
« Dans le vin comme dans le digging de son, tu as tes licornes, tes Saint Graal. »
Des rappeurs en cuisine qui s’essayent à la critique œnologique ? Quoi de plus « naturel » finalement. « On fait partie de ceux qui ont grandi avec le hip hop old school et qui peuvent aujourd’hui mettre 20€ dans une bouteille de vin », sourit Green. D’autant que l’effervescence actuelle dans le « vin nat’ » génère une diversité qui excite la curiosité des consommateurs. On pousse aujourd’hui la porte de son caviste comme on le faisait autrefois d’un disquaire : à la recherche de la perle unique, fruit du geste passionné et d’un excès de talent.
De quoi nourrir Origin & Juice, ce très beau disque de rap boom bap (comprendre à l’ancienne) qui sort ce vendredi 15 avril sur Chinese Man Records. Le tout en partenariat avec l’application du vin naturel Raisin et le distributeur Vins Chez Nous, et avec 100 éditions limitées avec les 6 bouteilles de vin, évidemment. L’occasion pour Pioche! d’une belle discussion avec des hip hop heads qui présentent leurs dernières bouteilles de vin nat’ comme des trouvailles d’une scène musicale. Entretien sans modération.
Depuis les débuts d’A State of Mind, désormais ASM, en 2007, on avait plus l’habitude de vous voir en compagnie de Wax Tailor ou de rappeurs que de vignerons. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Green : La première raison, comme tu l’imagines, c’est qu’on prend de l’âge. On apprécie un peu mieux les choses raffinées de la vie. Il y a aussi de nombreuses de correspondances entre la culture hip hop et le monde du vin naturel. En particulier cet esprit d’indépendance et d’alternative à la production mainstream. Pour trouver des trucs cool et bons, il faut souvent aller les dénicher.
Rhino : On a beaucoup creusé cette scène ces dernières années. Et plus on creusait, plus on se rendait compte combien celles et ceux qui bossent dans cet univers étaient proches, dans cet esprit de contre-culture un peu radicale, de ce qu’on a connu dans nos premières années hip hop. Chez les vignerons, les cavistes, les distributeurs, les sommeliers, et aussi un certain type de chef.fes qui ont du vin naturel à la carte, il y a un esprit de communauté et d’unité. Parce qu’on apprécie tous ça, et qu’on est tous dans ce truc for real, tu vois.
Ressentez-vous la même sensation en entrant chez un bon caviste que si vous entriez chez un disquaire ?
« Tu peux reconnaître la personnalité du vigneron avec son vin, c’est comme reconnaître un beat de J Dilla. »
Rhino : Exactement. C’est aussi cet aspect digging du vin, qui nous est complètement familier. On achète tous des disques depuis longtemps. Les beatmakers hip hop ont creusé super loin dans le jazz, la soul, tous les types de musique. C’est un peu la même vibe avec le vin. Quand tu entres chez un caviste et que tu trouves la pépite que tu cherchais depuis des semaines ou des mois, cette excitation à ce moment-là, c’est vraiment similaire.
Green : Et beaucoup de vins sont en quantités limités, comme pour les vinyles. Quand ces 1000 bouteilles sont parties, c’est fini, il n’y en a plus. C’est aussi toute cette idée de collectionner. Dans le vin comme dans le digging de son, tu as tes licornes, tes « Saint Graal ».
On pourrait filer la métaphore en comparant le jeu des cépages avec ces esthétiques que l’on reconnait à l’écoute : le son de New York de telle année, de Detroit ou de Chicago.
Rhino : Oui ! Je regarde toujours à l’arrière d’un disque pour savoir s’il y a du Fender Rhodes, et s’il y en a, je sais que je vais apprécier. C’est la même chose pour le vin : « oh, il y a du gamay, ça doit être bon ».
On trouve aussi la production du vin naturel très créatif. Lorsqu’il s’agit de mélanger des cépages pour créer de nouveaux arômes, ou faire ces tout petits ajustements qui changent tout, c’est la même chose : si je change la cymbales un tout petit peu, ça change tout le groove. Il y a ce même processus créatif, où l’on essaie de s’exprimer soi-même, et de retrouver sa personnalité dans le résultat.
Green : Et c’est aussi ça qui déchire dans le vin naturel : tu peux reconnaître la personnalité du vigneron dans son vin. C’est comme reconnaître un beat de J Dilla, il a son son, son style. Et ça ne se retrouve pas de la même manière dans le vin industriel. À moins de taper dans les grands classiques, mais qui seront alors plus des pièces d’orchestre, moins hip hop ou punk rock.
Vous êtes très précis dans vos raps œnologiques. Vous êtes devenus des experts !
Green : C’est surtout en buvant beaucoup de vin. Et aussi en côtoyant du monde dans cet univers. Tu entraînes ton palais tout en attrapant de bouts de vocabulaire ici et là. Les Natty Rhyme nous ont aussi obligé à boire de façon bien plus consciente. Bien sûr, certains aspects sont objectifs, comme le nom du vigneron, le terroir, le cépage ou le style de vinification. Ensuite sur la partie testing, c’est seulement de l’apprentissage et de l’entraînement.
La cave à vin nat’ d’A State of Mind
Quelles sont les merveilles de vin naturel qui tournent en ce moment dans les verres à pied d’ASM ? Il suffit de leur demander. Sélection de pépites rares, par des diggers de la vigne.
Pedres Blanques 2019, de Rié et Hirofumi Shoji (Banyuls-sur-Mer, France)
Green : Il est fait par un couple de Japonais qui ne font que cet unique vin. Ils sont tombés amoureux du vin de cette région, donc ils se sont installés là et ont commencé à faire pousser leurs vignes. Et ils le font incroyablement bien. Ce n’est pas le type de rouge vers lequel je me tourne habituellement, parce que c’est un 100% grenache, donc avec beaucoup de corps. Mais c’est super bien fait, précis, élégant. Il a un côté très chocolat, et aussi menthe, c’est juste délicieux. Les 2017 et 2018 sont dingues, mais je n’ai qu’une bouteille de 19. Je le garde encore un peu pour voir où il va.
Wasenhaus – Spätburgunder 2019, de Christoph Wolber et Alexander Götze (Baden, Allemagne)
Green : Celui-ci est fait par deux frères de nos âges qu’on rencontré à une foire au vin en Allemagne il n’y a pas très longtemps. Des gars cool. Et ils font selon moi le meilleur pinot noir d’Allemagne. C’est aussi super élégant, très équilibré. Un peu un style de Bourgogne sans être trop pointu, et juste incroyablement élégant. C’est juteux mais droit au but. Ils font toute une gamme de pinot noir (Spätburgunder en allemand) qui est incroyable. Il y a une nouvelle scène de jeunes vignerons en Allemagne aujourd’hui, en particulier dans le vin naturel, qui font des choses vraiment mortelles.

L’Alézan – Suspens, de Rémi et Patricia Bonneton (Étables, France)
Rhino : Premièrement, ils sont d’abord super super gentils tous les deux, et ils font des vins magnifiques. En Ardèche, Rémi a commencé en utilisant son cheval pour aider les autres vignerons à s’occuper de leurs terres, avant d’acheter certaines de leurs parcelles. Sur l’étiquette, c’est un dessin de Patricia du premier cheval de Rémi, qui s’appelait Suspens. C’est un superbe vin, un peu acide avec des notes de pomme, de poire, une touche un peu miel. C’est un assemblage de cuvées de 2017, 2018, 2019 et 2020, où ils n’ont gardé que le meilleur. Les cépages : Marsanne et Roussanne. Le résultat est super goutu et équilibré. Tout est bon, et leurs artworks sont toujours cool, j’adore tout ce qu’il font.
Muller-Koeberlé – Gloeckelberg Renard 2020, de David Koeberlé (Saint-Hippolyte, France)
FP : Ma découverte de l’an dernier. Ils ont notre âge et sont la 4e génération de vignerons sur le même domaine, désormais entièrement naturel. Ils font beaucoup de permaculture et d’agroforesterie. Ils ont donc remodelé certaines parties des terres pour redonner des nutriments et ont planté environ 1500 arbres eux-mêmes. Ce qui a amené un vrai écosystème qui n’était pas là avant. Là c’est une macération de Gewurtztraminer. J’ai tout de suite été surpris et amoureux de la couleur, une sorte de tequila sunrise. C’est vraiment très très goûteux, sur la mangue, la pêche, le fruit tropical, litchi, ananas. C’est très doux et bien glouglou, un grand jus. Et toutes les étiquettes de leurs vins naturels sont faites par Jobs, un ami tatoueur à eux.

Dope, de Claus Preisinger (Burgenland, Autriche)
Rhino : Cette bouteille s’appelle Dope et… elle tellement bonne. Elle est considérée comme un rosé mais en réalité c’est plus un rouge très léger. C’est un Blaufränkisch, c’est vraiment sur les notes de fraise, de framboise. Pas super acide, avec très peu de tanins. C’est vraiment une boisson d’été. La première fois qu’on est allés acheter du vin naturel avec FP, il m’a dit : plus l’étiquette est petite, plus ils sont fiers de la couleur de leur vin. Et là, tu ne peux pas faire une étiquette plus petite, avec en plus une bouteille transparente. C’est iconique, j’en suis juste dingue. Le mec est super super cool. Il est jeune mais il a commencé il y a 20 ans. C’est un maître.
Brand Bros – Wildrosé 2019, de Daniel et Jonas Brand (Bockenheim, Allemagne)
FP : On soutient à fond tout ce que font ces deux frères, qui ont environ 30 ans. Ils sont la 5e génération de vignerons, et sont aussi vraiment dans la permaculture. Ils ont implanté des abeilles, ont planté certaines herbes pour nourrir le sol en arômes. Ils utilisent des levures indigènes pour la vinification. Toutes leurs étiquettes sont faites à la main par leur grand-mère. C’est un assemblage de pinot noir et d’un autre cépage allemand qui titre à 10°. Un rouge super léger, avec beaucoup d’acidité, sur la cerise, la framboise. Un peu commun un cidre rouge, sans être sucré du tout, juste super bien équilibré. Une explosion de fruits, un peu comme un bonbon, avec une certaine funkyness que j’aime beaucoup dans les vins naturels maintenant.