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Terrenoire : « L’écologie est vécue comme une injonction, un truc élitiste, c’est ça le problème »

par Samuel Chabré
3 juin 2025
Terrenoire Protégé·e tournée écologie

©Louis Canadas

Au mythe de « l’artiste-star », Terrenoire répond « travail à la chaîne » pour le compte de l’industrie musicale ; aux injonctions écologiques, les deux frères répliquent « élitisme » et « colère sociale », et appellent à d’abord écouter les gens. Ce que le groupe met en œuvre au travers d’une tournée « ralentie », qui prend le temps de la rencontre et du partage. Entre deux happenings contre le fascisme à Paris. Ils nous racontent.

Cela faisait un moment qu’on suivait le groupe Terrenoire, qu’on voulait leur tendre le micro. Parce que ce qu’ils font déborde largement du cadre de la musique. Les frangins Raphaël et Théo Herrerias viennent d’un quartier qui porte leur nom, près de Saint-Étienne. Un territoire ouvrier, un grand-père à l’usine et syndicaliste. « Un héritage de luttes et de résilience », qu’ils ont transformé en matière vivante : la musique, oui, mais aussi le lien, la parole, l’engagement.

Aujourd’hui, Terrenoire, ce n’est pas juste un duo de la pop française qui monte. C’est une manière de faire autrement. Entre les deux tours de la présidentielle, ils ont appelé à voter contre l’extrême droite, rassemblé des artistes, pris position. Avec leur Tournée des Territoires, entamée depuis février 2025, ils contestent les logiques épuisantes de l’industrie : « C’est du taylorisme… tu passes du van à l’hôtel, à la salle, au parking. »

Eux préfèrent ralentir, aller vers les gens, jouer dans des médiathèques, des centres sociaux, parler dans des universités. Questionner, aussi, le mythe de « l’artiste star » qu’on leur a vendu. Lors de leur passage au Climat Libé Tour à Bourges en avril dernier, on les a retrouvés sur scène, avec un message clair. Une écologie qui, loin de la seule décarbonation ou de la reconnexion au vivant, « pense les liens, les territoires, les services publics. Une écologie qui ne soit pas pensée par le haut. »

Alors, cette tournée « ralentie », ça se passe comment ?

Raphaël : C’est intense, mais super. On a ouvert avec un concert dans une médiathèque. Ça résume bien notre démarche : faire de la médiation culturelle autant que de la musique. On a animé des ateliers d’écriture pour des jeunes de la commune, puis joué devant leurs familles dans un endroit qui n’avait jamais accueilli de concert. On veut sortir du schéma classique.

« Là, on fabrique autre chose. C’est l’anti-standardisation. »

Théo : On est partis d’un ressenti personnel, presque intime : celui d’une certaine aridité dans les tournées classiques. C’est un modèle très standardisé, presque industriel. Tu passes du van à l’autoroute, de la salle au catering, puis à l’hôtel — et tu recommences, encore et encore. Ce schéma se répète pendant un an, un an et demi, parfois plus. Et à l’arrivée, on perd une énergie folle à ne presque rien vivre. Il y a une forme de vide. C’est de là qu’est née l’envie de faire autrement.

Raphaël : Là, on fabrique autre chose. On change sans arrêt de formes : on s’adapte à des collégiens, des médiathèques, des chorales, des seniors… C’est très vivant. C’est l’anti-standardisation.

Terrenoire-france-chanson-duo-musique
©Louis Canadas

Ce que vous faites a un vrai fond écolo, mais ce n’est jamais nommé comme tel, ni par vous, ni par les médias. Pourquoi ?

Raphaël : Pour moi, ça en dit beaucoup sur la manière dont est perçue l’écologie en ce moment. Et sur l’absence de réflexion autour de l’écologie — notamment l’écologie de la culture, qui se réduit souvent à ne parler que de décarbonation. Mais pour nous, elle ne se limite pas à ça. Il s’agit d’écologie des liens, des territoires. Et là, la culture devient structurante : elle touche aux politiques publiques, aux services, aux façons d’habiter un territoire.

Théo : Aujourd’hui, l’écologie — telle qu’elle existe médiatiquement, telle qu’elle est portée politiquement — c’est souvent une écologie des grandes villes, des classes moyennes et supérieures, des petits gestes. On a hérité d’une vision descendante, culpabilisante. Et ça devient un repoussoir pour plein de gens. Y compris nous, parfois.

« Depuis le début de la tournée, on a vu les gens inquiets, paralysés. Les services publics, pour eux, c’est central. »

Raphaël : Il y a une vraie colère sociale. Une sensation d’humiliation que je comprends viscéralement. Quand tu galères, que tu te sens oublié, les injonctions à « changer de mode de vie » deviennent violentes. Il y a de la défiance, de l’orgueil aussi : « Vous me demandez de changer ? Je ne le ferai pas. » C’est ça, le problème : l’écologie est vécue comme une injonction, comme un truc élitiste. Et du coup, il faut repenser tout ça, il faut que ça vienne du terrain, des gens qui vivent autrement, pas des bureaux de Paris.

Vous parlez d’écoute, de lien, de dialogue… C’est quoi la place que vous donnez à votre musique ?  Une place politique ?

Raphaël : Oui, mais pas dans un sens moralisateur. La musique devient un prétexte. On pose des questions, on écoute. Parce que sans écoute, il n’y a pas de confiance. Et sans confiance, il n’y a pas de transformation possible.

Théo : C’est pour ça qu’on va dans des lieux où les gens se sentent rarement valorisés : médiathèques, collèges, petites salles communales… Pour qu’ils se sentent écoutés, et que leurs paroles soient mises en scène. C’est ce qu’on a voulu faire à Tourcoing.

On a travaillé avec la chorale des seniors du Grand Mix, la salle de musique de la ville. On a partagé un moment sur scène avec eux, sur un de nos morceaux. Symboliquement, c’était très fort. Tous les anciens se sont mis à chanter. Puis tout le public. Il y a eu beaucoup d’émotion. C’était très beau de voir les plus jeunes pleurer.

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©Bettina Pittaluga

Vous dites souvent que vous êtes des enfants du service public. Pourquoi c’est aussi important d’en parler ?

Théo : Parce qu’on vit avec des croyances fausses. On imagine que les artistes sont touchés par la grâce, par une inspiration magique. Mais non. Ce sont des toiles de compétences, de transmissions, de personnes sur le terrain, qui lèguent un savoir-faire.

J’ai appris la musique dans une école municipale où l’inscription coûtait 60 balles. Raphaël a commencé le piano dans un centre social, la guitare avec un oncle prof de musique à Feurs… C’est un tissu. Une chance d’avoir croisé ces gens-là.

« Ce qui se joue, c’est une guerre ouverte sur le langage, sur les récits, sur les imaginaires. »

Raphaël : C’est grâce à ces structures qu’on a pu faire ce qu’on fait aujourd’hui. On ne peut pas faire sans services publics. Ils sont au cœur de tout.

Depuis le début de la tournée, on a vu que les gens sont inquiets, paralysés. Ce qui revient constamment, c’est l’importance des services publics. Pour eux, c’est central. Ils parlent de l’hôpital, de l’école, de l’alimentation… Autrement dit : comment je me soigne, comment j’éduque mes enfants, comment je mange. Ce sont des préoccupations simples, mais essentielles, concrètes, immédiates.

Et je pense que la culture doit entourer ces sujets-là. Être présente dans la vie des gens, chercher des choses concrètes à faire. Nous, avec cette tournée, on essaye de trouver ce concret. D’être là, d’activer, et de poser la question.

Dans vos prises de parole, vous n’hésitez pas à parler de fascisme. C’est rare dans le monde artistique.

Théo : Je pense qu’on vit une période marquée par un tournant historique. Un véritable tournant existentiel. C’est une période où l’histoire semble nous regarder. Ce n’est peut-être pas facile à exprimer, mais on sent une accélération du temps, un « froid » dans l’air.

La fenêtre d’Overton s’ouvre : des idées d’extrême droite, autrefois impensables ou marginales, entrent aujourd’hui dans le champ du débat public, sans résistance, parfois même avec enthousiasme. Et pendant que ces discours se normalisent, un ancien monde s’efface — celui des digues fragiles, des principes démocratiques, d’une certaine idée de faire société.

C’est pour ça que la culture est essentielle. Parce que ce qui se joue, c’est une guerre ouverte sur le langage, sur les récits, sur les imaginaires. Et les fascistes, on le sait, ont toujours été d’excellents metteurs en scène

 

Raphaël : Ce n’est pas facile de se saisir de l’incarnation politique, surtout à un moment où on en a vraiment besoin. Mais je pense qu’il y a une responsabilité à s’organiser en dehors des partis, à rejoindre des syndicats, ces lieux où l’on peut se réunir, réfléchir, et soutenir toute initiative antifasciste. C’est essentiel, même si ce n’est pas toujours évident dans nos vies d’artistes. On est plus nomades, moins en première ligne.

Mais ça reste crucial de comprendre ce qui se joue, de voir sur quoi repose le lit du fascisme aujourd’hui. Défaire ces imaginaires-là est une tâche colossale. Il nous faut un antifascisme structuré, profond, joyeux et résistant.

Écouter ou acheter le 2e album protégé·e du groupe Terrenoire, et retrouver les dates de leur tournée protégé·e. Pour suivre leurs rencontres autour des concerts, c’est sur Instagram.

Tags : InterviewMusiquePolitiqueRéflexion

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