En Normandie vient d’être publiée l’une des plus larges enquêtes sur la mobilité des publics en festival. C’est le fruit du travail de la jeune association NORMA, qui a recueilli les usages de plus de 5000 festivalier·ères et professionnel·les, le tout porté par une dynamique collective à l’échelle régionale. De quoi lancer de premières expérimentations dès ce printemps pour mettre fin au tout-voiture, ce poids lourd du bilan carbone des événements culturels.
En 2023 et 2024, 33 festivals normands se sont mobilisés autour d’une large enquête sur la mobilité. Plus de 5 000 festivalier·es, bénévoles et professionel·les ont répondu à un questionnaire sur leurs modes de déplacement et les raisons de leurs choix. Une centaine d’entre eux/elles ont participé à un entretien avec des sociologues. Un lot de données précieuses pour réduire le bilan carbone des festivals largement dominé par les émissions liées aux mobilités. Et pour réaliser l’une des plus larges enquêtes sur la sujet parue à ce jour.
Parmi les résultats, on retrouve, sans surprise, l’hégémonie de la voiture thermique, empruntée comme mode de déplacement principal par 53% des interrogé·es, loin devant la marche (16%), les transports en commun (12%) et le vélo (7%). Les personnes interrogées justifient principalement leurs choix de mobilité par la praticité (35%) et la rapidité (13,3%), mais aussi par l’absence d’alternatives depuis leur lieu de départ (32%).
Choisie en grande majorité par des automobilistes, cette dernière justification met en lumière le manque de transports en commun ou de pistes cyclables, particulièrement en milieu rural. « Ces données nuancent l’idée que la mobilité ne dépend que de choix individuels, il faut aussi orienter le débat vers la mise en place d’infrastructures sur les territoires », préconise Margot Jankowski, cheffe de projet au sein de Sociotopie, le cabinet à qui a été confiée cette étude.
Le poids des habitudes
D’autres facteurs ont été identifiés, tels que l’âge des individus – plus les personnes sont âgées, plus elles utilisent la voiture thermique ; le genre – les femmes sont beaucoup plus nombreuses à choisir leurs modes de déplacement pour des raisons de sécurité ; ou encore les représentations – les automobilistes ont tendance à sous-estimer le temps de trajet en voiture, et à surestimer celui des autres moyens de transport. L’étude pointe également le « poids des habitudes » : les publics et équipes choisissent le plus souvent un mode de déplacement qu’ils/elles utilisent dans leur quotidien.
Toutefois, le contexte particulier d’un festival peut être le théâtre d’expériences positives qui modifient ces habitudes. Autrement dit : enfourcher le vélo sur le chemin d’un festival peut être le premier pas vers son usage quotidien. Sociotopie suggère alors le développement d’une communication qui rassure et donne envie d’emprunter les alternatives à la voiture.
« Attention à la double peine pour des publics déjà exclus »
Les autrices préconisent la prudence quant aux mesures coercitives telles qu’une hausse du prix de parking qui « pourraient contribuer à exclure davantage les classes populaires » des festivals. « Si on ne propose pas d’alternatives crédibles, c’est la double peine pour des publics déjà exclus. Non seulement c’est plus cher, mais en plus ils/elles passent pour les mauvais élèves de l’écologie », complète Thiphaine Bocquet, chargée d’étude à Sociotopie.
« Le but de l’enquête était de comprendre les logiques derrière les choix de mobilité », explique Margot Jankowski. « Pourquoi les personnes choisissent en grande majorité la voiture ? Qu’est-ce qui motive le choix d’emprunter des alternatives comme les transports en commun ou le vélo ? Quelles sont les caractéristiques des festivals qui favorisent tel ou tel mode de déplacement ? »
À partir de ces indicateurs, des solutions concrètes – et bien souvent collectives – pour changer les comportements seront expérimentées dès ce printemps pour les festivals participants, de Pete the Monkey au festival d’arts numériques et de musiques électroniques Magnetik de Bernay, des Art’Zimutés de Cherbourg au festival des arts de la rue Viva Cité, à Sotteville-lès-Rouen.
Alignement des étoiles
Car derrière cette étude, il y a NORMA – Normandie Musiques Actuelles, association fraîchement créée en 2022, qui rassemble tous·tes les acteur·ices des musiques actuelles en Normandie, et un « alignement des étoiles » raconté par son directeur Lucas Blaya. À la fin de l’année 2022, les partenaires du contrat de filière musiques actuelles de Normandie – dont la DRAC, la Région, les départements de l’Eure, de l’Orne, de la Manche et de Seine-Maritime, les Villes du Havre et de Caen, la Métropole Rouen Normandie – s’accordent sur l’urgence de décarboner les festivals en s’attaquant prioritairement à la mobilité et à l’énergie.
« Ce sont tout de suite les enjeux écologiques qui sont arrivés sur la table. »
Au même moment, le Conseil régional de Normandie vote à l’unanimité une fiche-action proposée par le GIEC Normand explicitement intitulée « Vers un plan de mobilité pour les événements culturels ». Et quelques mois plus tard, le Président de Région Hervé Morin saisit NORMA pour mettre en place une stratégie régionale de transition écologique. L’appel résonne avec les préoccupations des festivals normands. Réunis au sein du groupe de travail des Festivals de NORMA, ceux-ci avaient identifié la mobilité comme un chantier prioritaire à l’échelle régionale. « Cinq ans en arrière, les festivals nous auraient parlé de mécénat, d’impact économique, de billetterie, mais là ce sont tout de suite les enjeux écologiques qui sont arrivés sur la table », se souvient Lucas Blaya.
« Les festivals ne peuvent pas tout »
Une grande enquête sur la mobilité des publics et des équipes des festivals est alors commandée par NORMA au cabinet Sociotopie, à l’origine d’un travail similaire à l’échelle nationale, Festivals en Mouvement. En prenant soin d’ouvrir à d’autres champs culturels, dont le spectacle vivant, le cinéma et l’image animée, le livre et la bande dessinée. « Tout est allé très vite parce qu’on a la chance d’avoir ces espaces de coopération entre les pouvoirs publics et les acteur·ices de terrain », observe Lucas Blaya qui précise que la gouvernance de NORMA mêle des structures culturelles privées et publiques, les collectivités territoriales, dont la Région et des représentants de l’État.
À partir de ces résultats et de la dynamique insufflée par l’enquête, NORMA prévoit maintenant le lancement d’un plan de formation dédié aux professionnel·les du territoire. Les festivals déploieront leurs premières expérimentations au printemps : travail sur l’intermodalité et le trajet des festivaliers-campeurs/festivalières-campeuses, accueil des cyclistes sur le site des festivals, communications ciblées… De quoi nourrir une vraie stratégie d’action et de coopération à l’échelle régionale.
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« Il nous faut du concret pour que nos événements culturels réussissent à être entendus, dans une région qui compte par ailleurs les pôles touristiques du Mont Saint-Michel, des plages du débarquement et du Port du Havre », rappelle Lucas Blaya. « En s’appuyant sur les chiffres de l’enquête et les entretiens qui permettent vraiment de se projeter, on peut aller convaincre les élu·es, la SNCF ou les opérateurs de mobilité de travailler avec nous à la décarbonation des festivals ».
Et parce que « les festivals ne peuvent pas tout », NORMA se tourne désormais vers les secteurs du sport et du tourisme pour faire de ces expérimentations la première marche d’un mouvement plus large en faveur des mobilités durables.