25 ans après sa création, Marsatac revendique toujours sa volonté d’être un festival au service de la jeunesse et du territoire marseillais. Pour rendre ces trois jours de fête hip-hop et électro accessibles au plus grand nombre, l’équipe expérimente des dispositifs tournés vers les personnes en situation de handicap. Une démarche en perpétuelle évolution, qui prend racine dans tous les pans de l’organisation.
Marsatac a passé le quart de siècle avec panache. À deux pas de la plage, pas loin du Stade Vélodrome, dans un Parc Borély qui s’est fait beau pour l’occasion, le festival marseillais a su régaler ses 30 000 invité·es avec une programmation hip-hop et électro explosive. Trois jours de soleil, de paillettes et de fête dans une ambiance bon enfant, des concerts de drill jusqu’aux siestes dans l’herbe. De quoi faire honneur à l’engagement pour la diversité et l’émergence artistique qui jalonne l’histoire de l’événement.
Pour que son anniversaire soit le plus accessible possible, le festival a multiplié les initiatives à destination des personnes en situation de handicap. Avec l’ambition de transformer la « micro-société » que crée un festival, avec son lot rencontres, d’émotions et de souvenirs marquants, en un modèle d’inclusion. Un projet bienvenu à l’heure où près de la moitié des personnes en situation de handicap jugent l’accès à la culture difficile.
« Ici on est des stars »
« On est déjà venues l’année dernière, la musique permet de se retrouver, de passer du temps entre cousine en laissant les parents à la maison » explique Sandrine, accompagnée d’Emma, Laura, Sabrina et Mathilde, qui dégustent une barbapapa sous le soleil de fin de journée. Cette dernière est en fauteuil roulant et se réjouit de l’accueil reçu : « Des gens dansent avec moi pendant les concerts, ici on est des stars ».
Étoiles dans les yeux
Les cousines témoignent que l’accessibilité était le principal critère de choix pour cette sortie, à côté bien sûr de la programmation que Mathilde connaît sur le bout des doigts. Depuis la scène principale, installée devant le majestueux Château Borély, jusqu’à la scène du Lac – une arène 360° dédiée aux musiques électroniques – ou la scène de la Prairie, la petite équipe déambule dans le parc grâce aux infrastructures dédiées : platelage, signalétique, rampe d’accès…
Grâce aux plateformes surélevées dédiées aux personnes à mobilité réduite, elles assistent ensemble aux concerts. « On est placées devant l’espace VIP », s’amuse Sandrine. Un choix symbolique important lorsque l’on sait que seulement un tiers des personnes à mobilité réduite jugent l’accès à la culture facile.
La diversité des situations de handicap – et son caractère souvent invisible –, concerne environ 15% de la population française. Ce chiffre monte à 30% si l’on ajoute les accompagnateur·ices. Pour ne pas laisser ces publics de côté, les festivals foisonnent d’expérimentations en faveur de l’accessibilité, allant bien au-delà des obligations légales.
Inspi d’ailleurs
Marsatac s’est ainsi équipé depuis 2023 de la technologie MobileConnect, permettant aux personnes malentendantes de connecter le système son des scènes avec leurs appareils auditifs. Des gilets vibrants – sac à dos connecté qui transfère des fréquences graves profondes dans le corps — étaient également proposés au prêt. Effet garanti devant le set du DJ allemand Boys Noize.
« On le voit direct quand un festival n’a pas consulté de personnes concernées »
Ailleurs, des événements testent aussi des concerts sur-titrés ou interprétés en langue de signes. Tous ces projets sont accompagnés par des professionel·les du handicap et partagés au sein des réseaux de festivals engagés, à l’instar du COFEES pour la Région Sud, dont Marsatac est membre fondateur . De quoi créer un mouvement collectif, diffuser les bonnes pratiques et empêcher les fausses bonnes idées. « On le voit direct quand un festival n’a pas consulté de personnes concernées », témoigne Salim, 44 ans, qui a sillonné en fauteuil roulant les festivals de la région.
« Ce qui semble évident sur le principe s’avère, dans la réalité, un long chemin, fait de rencontres, de partages d’expériences, d’écoute et de bon sens » écrit de son côté la fondation Malakoff Humanis dans son livre blanc sur le sujet.
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Marseille la nuit
De l’écoute et du bon sens. Ce sont les mots d’ordre de la vingtaine de bénévoles aux chasubles violets déployés au parc Borély, dédiés à l’accessibilité et formé·es en amont par des personnes en situation de handicap. « Il y a de bons réflexes à avoir, comme ne jamais toucher une personne malvoyante sans lui avoir parlé en amont » explique Léa, 23 ans, Marseillaise d’adoption, bénévole sur le festival.
Cette équipe de choc anime également un « point info » tourné vers l’accessibilité. On y trouve une cabine pour se changer, des toilettes, un frigo pour les médicaments et un espace calme dans lequel échapper à la forte affluence, un des freins principaux (34%) à la venue en festival des personnes en situation de handicap, entre le prix (40%) et le manque d’accessibilité (20%).
« On s’adapte à chaque situation, on est surtout là pour rassurer, répondre aux questions, et s’adapter à chaque situation avec bienveillance » résume Christophe, 35 ans, locuteur de la langue des signes. Ll’équipe du festival aimerait profiter du point info pour sensibiliser l’ensemble des festivalier·es au handicap.
Comme à la maison
Ce sens de l’accueil – « à la marseillaise » précise Béatrice Desgranges, directrice et fondatrice du festival – passe également par des tarifs préférentiels pour les personnes en situation de handicap et la gratuité pour un·e accompagnant·e. Le même sens de l’accueil que l’on retrouve à l’origine de l’application Safer qui permet aux personnes victimes ou témoins de violences ou harcèlements sexistes et sexuelles d’envoyer une alerte. Grâce à la géolocalisation, une brigade de bénévoles formé·es intervient pour désamorcer la situation et prendre en charge la victime si nécessaire. Créé il y a trois ans par l’équipe de Marsatac, le dispositif est aujourd’hui déployé dans 170 événements partout en France.
Plus largement, cette démarche d’accessibilité s’inscrit dans le programme « festival durable et solidaire », lancé par Marsatac en 2008, avec la volonté de mettre l’événement au service de la jeunesse et du territoire. Au cœur de la fête, des associations locales sont mises en avant dans une grande « récréation solidaire » qui combine jeu et sensibilisation ; et deux classes de collégien·nes montent sur scène pour présenter leurs morceaux créés dans le cadre de la « Marsatac School ».
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Enfin, chaque jour sur la grande scène, avant l’arrivée des rappeur·euses Zola, Luidji ou SDM, l’asso Clean My Calanques prend le micro pour appeler à « ramasser les déchets et protéger notre belle région », après avoir réveillé la foule avec l’incontournable chant marseillais Aux armes.
Demain c’est maintenant
L’accessibilité se joue également sur scène. Malgré quelques musicien·nes comme les rockeurs d’Astéréotypie ou la harpiste Anja Linder qui font bouger les lignes, l’industrie musicale est encore loin d’être un modèle d’inclusion. En 2021, seuls 28% des salles de spectacles et festivals européens déclarent présenter des productions d’artistes en situation de handicap au moins une fois par an. Pourtant, au-delà de l’intérêt artistique, ces choix de programmation envoient un signal fort pour permettre à tout le monde de se sentir à sa place au cœur de la fête.
La prochaine étape ? « Il faut travailler à l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les équipes et chez les bénévoles », souhaite Marion Bergé-Lefranc, chargée de l’accessibilité du festival. À l’image des Normand·es de Papillons de Nuit qui mènent un travail à l’année avec des établissements spécialisés, l’implication des premier·es concerné·es dans l’organisation permet d’assurer la pertinence des choix, tout en faisant des festivals de précieux espaces d’insertion professionnelle.
Rendez-vous donc dès l’année prochaine. Et en attendant, on garde en tête les temps forts de cette édition 2024 : le concert à la scéno impressionnante de Shay, le retour à la maison de Zamdane, le set de Jersey pour le closing du samedi, le concert déjanté de Roland Cristal ou encore les performances électriques des jeunes rappeur·euses émergent·es du dispositif La Frappe.