Il était le Baron des nuits parisiennes. Aujourd’hui, Lionel Bensemoun habite au cœur de la forêt de Fontainebleau, organise des manifs techno-green, et sollicite son réseau de VIP pour aider des ONG écolos. Après avoir réuni le « tout Paris », il cherche désormais à le sensibiliser à l’environnement par l’art et la fête. Alors, délire néo-hippie ou véritable épiphanie ?
Cet article est réalisé en partenariat avec Trax, le magazine des musiques électroniques et des cultures en mouvement.
De sa fenêtre, il observe les arbres qui ont pris les couleurs de l’automne. Après une nuit de pluie, le soleil est revenu, et une lumière paisible arrose ce matin la forêt qui entoure la Folie Barbizon. Cela fait maintenant un an que Lionel Bensemoun a rendu les clés de son appartement parisien pour s’installer au cœur de la forêt de Fontainebleau. Lui, la figure des nuits parisiennes. Celui qui réunissait jusqu’en 2015 le « tout Paris » dans son temple foutraque et branché Le Baron. À 48 ans, l’homme qui initiait le festival corse Calvi On The Rocks, et inventait les institutions noctambules Showcase et Paris Paris, le Nuba et la Mano, Chez Moune et Grand Rivage, vit désormais au calme, et s’adonne volontiers à la contemplation de la nature.
Lionel Bensemoun ignorait encore tout de la région il y a deux ans, lorsqu’il visita pour la première fois la charmante ville de Barbizon, et cette grande maison qui deviendra son actuel pied à terre, et son nouveau QG. À l’époque, il a déjà revendu la plupart de ses boîtes de nuit pour lancer avec succès les tiers-lieux itinérants Le Consulat, son mini festival éco-sensible Isla et le collectif GANG, pour Groupement d’Action Néo Green. Autant d’échos d’une mue vers l’action écologiste qu’il a amorcée dès 2013, et de l’engagement de cet ancien baron de la nuit pour la cause environnementale.
La Folie Barbizon
L’on rejoint La Folie Barbizon après 35 minutes de train depuis Paris. Là, entourée d’un joli jardin où tables et chaises permettent de profiter du calme et de la verdure, une demeure un peu rustique d’apparence renferme le dernier projet de Lionel Bensemoun. C’est une résidence d’artistes avec 6 studios et 14 chambres à la décoration soignée, disponibles en hôtellerie. Une cheffe propose chaque soir aux hôtes un plat végétarien unique, servi sur une grande table « comme à la maison ». Des musiciens animent à l’occasion des soirées en petit comité autour du bar. Depuis l’ouverture du lieu en mai, les familles de Parisiens et les retraités de passage font le plein pour profiter d’un bol d’air frais hors de la capitale, ou participer aux ateliers de céramique.
Cette envie d’exode urbain, accentuée par les affres du confinement, Lionel Bensemoun l’avait bien sentie. En premier lieu parce que cet entrepreneur à succès conçoit d’abord ses projets pour lui. « J’avais envie d’un endroit qui donne accès à la nature, à la contemplation, de trouver mon petit îlot un peu spirituel, explique-t-il. C’est peut-être pour ça que j’ai la chance que ça marche, parce que mes envies correspondent souvent à celles des autres. Ici, il y a ce petit mélange de culture et de nature qui correspond aux attentes d’aujourd’hui. » Là, au milieu des sous-bois, des ONG viennent à l’occasion y organiser des séminaires de travail.
La Base
Car l’homme a vu, ces dernières années, son entourage devenir de plus en plus militant. À son carnet d’adresses, où apparaissent JR et Anne Hidalgo, Flavien Berger ou Marion Cotillard, se sont depuis ajoutés les leaders de grandes organisations écologistes. C’est en discutant avec Julien Bayou, actuel secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts, qu’est née l’idée de La Base. Dans ce lieu déniché à quelques mètres de l’hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement parisien, les deux hommes imaginent créer le lieu de convergence du militantisme écologiste. « La Base a été conçue comme un accélérateur de mobilisation, un vrai QG pour les gens qui veulent s’engager et ne savent pas où aller, et un lieu de synergies entre les différentes ONG sur place », raconte Lionel Bensemoun.
Au départ ça s’appelait GAG, l’idée était de faire des blagues pour sensibiliser, à la manière des Yes Man
Sur les trois niveaux du bâtiment, entre les affiches militantes, le bar associatif et les banderoles en gestation, se nichent dans divers bureaux et open space les équipes d’Alternatiba, Action Climat, Notre Affaire à Tous ou encore le YouTubeur écolo Partager C’est Sympa. La dynamique, lancée l’an dernier, est aujourd’hui autonome, les associations se chargeant de la gestion du lieu. Elles lancent d’ailleurs aujourd’hui un appel au don pour soutenir leur activité. Dès l’ouverture, Lionel Bensemoun a mis à contribution son réseau, invitant l’artiste JR pour le lancement. Il y a gardé le petit bureau de son collectif GANG, qui initie chaque année avec le collectif Give A Fuck la « Rave For Climate », le volet techno-festif de la Marche pour le Climat.
GANG, Groupement d’Action Néo Green
« Au départ, GANG s’appelait GAG, pour Gang d’action green, avec l’idée de faire des blagues pour sensibiliser, à la manière des Yes Man » s’amuse encore Lionel Bensemoun à l’évocation de la première action de ce collectif né en 2015. Cette année-là, présent comme chaque fois au festival de Cannes, l’ancien publicitaire décide d’utiliser son savoir-faire de communicant pour lancer une folle rumeur. La région est alors victime d’un insecte qui ravage les palmiers de la croisette. Bensemoun décide de monter une fausse conférence de presse pour annoncer la création par Monsanto du premier palmier génétiquement modifié, afin de sauver le festival de Cannes. « On avait une centaine de personnes à la conférence de presse, dont des gens anti-Monsanto, il y avait une manif, Canal+ ! »
Devenu GANG, le Groupement s’est depuis consacré à lier musique et militantisme écologique. L’ancien patron du Baron a ainsi sollicité son réseau pour faire venir Polo & Pan, Tshegue et Flavien Berger sur scène, place de la République, à l’occasion d’une manifestation. Dernièrement, il convoquait plusieurs figures du street art afin de détourner les portraits de Macron décrochés par l’association Alternatiba. « GANG conseille les ONG pour trouver le bon graphiste, faire une petite vidéo ou trouver des musiciens pour les actions, détaille Lionel Bensemoun. À l’image d’Extinction Rebellion, l’idée est d’utiliser l’art et la performance, des images médiatiquement fortes, pour faire passer le message. » Les portraits de Macron détournés ont d’ailleurs fait l’objet d’une mise aux enchères au sein du tiers-lieu itinérant Le Consulat, administré par GANG.
Le Consulat
Le premier Consulat a ouvert en 2016. Lionel Bensemoun vient alors de quitter La Clique, son agence de conseils et d’événementiel auprès des marques. Sensibilisé par le film Demain et plusieurs formations auprès de Colibris, il fréquente déjà plusieurs associations et réfléchit à ce qu’il peut faire à son niveau pour ajouter sa « petite goutte ». « Je ne suis pas allé très loin : j’ai poursuivi ce que je savais faire, réunir les gens. » Son expérience, ses réseaux dans la nuit, les festivals et la musique sont mis à profit pour créer un lieu où se croisent les « branchés » fans de La Femme et les « alternatifs » de Nuit debout.
Le mot d’ordre, c’est que si tu paies, tu n’es pas le produit
Dans ce nouveau lieu hybride du 9e arrondissement, Lionel Bensemoun veut montrer que l’on peut sortir des clivages « où toi t’es green, écolo, tu fais du vélo, tu ne manges pas de viande, et toi tu vas en boite de nuit : il fallait un trait d’union entre tous ces jeunes ». Sur place, des associations organisent des conférences et informent sur les solutions pour mieux consommer. Le restaurant est végétarien et offre des repas aux réfugiés le midi, le bar vend des alternatives au Coca. « On voulait faire un lieu branché mais responsable, montrer que l’art et la musique pouvaient servir à changer les mentalités. »
En 2018, le Consulat fait sa mue et ouvre dans un lieu de 3 000m2, dans le 14e arrondissement. Cette fois, tout le Paris festif s’y bouscule pour participer aux raves organisées par les collectifs franciliens, au milieu des œuvres d’art contemporain. Jusqu’à 3 000 jeunes fêtards viennent y danser chaque vendredi et samedi soir. Pour Lionel Bensemoun, l’énergie de cette jeunesse habituée aux soirées techno alternatives, libérées des règles administratives, résonne avec les valeurs du lieu. Les recettes des nuits permettent d’organiser le lendemain des conférences avec des invités internationaux. « Le mot d’ordre, c’est que si tu paies, tu n’es pas le produit. » L’écosystème tient les 6 mois autorisés sans faire appel aux marques ou aux sponsors, désormais bannis de l’ensemble de ses projets.
Unir
Le 2 septembre dernier, c’est dans un ancien transformateur électrique EDF de 3 000m2 qu’ouvrait la dernière mouture du Consulat. Dans cette grande cathédrale industrielle, les spectateurs sont invités à s’asseoir sur les tapis et coussins disposés au sol. Au centre, les concerts et performances se font sans amplification, à la seule lumière des bougies. « J’ai appelé ce lieu Consulat, Générateur d’énergies nouvelles », expose Lionel Bensemoun. Une référence évidente au passif du bâtiment, et un contre-pied aux échanges tendus de ces derniers temps au sein du militantisme. « C’est très électrique : anti-racisme, féminisme, gauche, droite, écologistes… Ça se tape beaucoup dessus. Les débats opposent des bulles isolées et de plus en plus polarisées qui ne se parlent pas. Ça m’a beaucoup touché. »
Mes amis disaient : “Oh Lionel, il est parti en couilles, il fait ses potagers, il est jardinier, il va aux manifs“
Ce nouveau Consulat se veut donc « pacificateur ». Exit les conférences militantes, place aux réunions ouvertes, et à une expérience proche du spirituel. « Mon schéma du militantisme aujourd’hui va davantage vers le sacré, précise l’intéressé. C’est un lieu de paix où l’on prend le temps d’accéder à plus de sens, à l’invisible. » La dernière soirée avant le confinement accueillait la performance de Vincent Moon et Priscilla Telmon. À l’écran défilaient les vidéos de cérémonies de transe filmées par le vidéaste autour du monde, pendant que la musicienne enivrait le spectateur de boucles répétitives. « C’est ce genre de moments que l’on veut vivre, s’enthousiasme Lionel Bensemoun. Dans ce cadre intimiste, la réverbe naturelle du lieu laisse place à un imaginaire très puissant. Ça ouvre, c’est paisible, unificateur. Ensuite, tu n’as pas envie de débattre mais plutôt de comprendre l’autre. »
Aujourd’hui, l’activiste de la nuit parisienne se félicite d’avoir construit son chemin vers un militantisme apaisé, et se réjouit de voir ses anciens amis le rejoindre. « En 2015 quand j’avais le Baron, j’étais un peu isolé avec tous mes trucs green. Mes amis disaient : “Oh Lionel, il est parti en couilles, il fait ses potagers, il est jardinier, il va aux manifs.“ » Il dit aujourd’hui les retrouver dans les cortèges, au Consulat ou à la Folie Barbizon. À leurs côtés, les jeunes du milieu rave, comme Fusion mes couilles, qu’il programme dans son dernier club en activité, Le Petit Palace, pour « garder le contact avec la jeunesse et la nuit ». « La nuit est un vraiment vecteur de message, analyse-t-il. Uniqlo ou Diesel l’avaient bien compris en me demandant de faire des soirées. J’ai mis à contribution cet outil, sans être moralisateur mais par la joie et le positif. Il y a tellement de mal-être et de crise de sens, sans ça, on n’y arrivera pas. »