Mi-mars, une quinzaine d’influenceur·euses étaient invité·es à participer à une journée autour de l’influence et de l’engagement pour le climat. Réuni·es dans les locaux parisiens de l’association La Fresque du climat, ils/elles ont pu échanger avec des activistes et réaliser une Fresque. De quoi les faire gagner en assurance et en motivation et favoriser la création de contenu engagé autour des enjeux écologiques.
D’habitude, sur son compte Instagram, la graphiste Math de Capèle (@cht.am) aborde dans ses dessins la santé mentale et le féminisme. Mais pas ce jour-là : pour son anniversaire et en pleine urgence grand froid, elle entreprend de lancer une collecte à destination de l’association Utopia 56, mobilisée pour la défense des droits des personnes exilées. Avec Perrine Bon, sa manager et fondatrice de l’agence PerrineAM, elle se fixe comme objectif d’atteindre 15 000 € de dons.
L’appréhension de ne pas y parvenir s’éteint quand, deux jours plus tard, la cagnotte atteint 35 000 €. Au total, mi-janvier, près de 58 000 € seront récoltés « grâce au pouvoir de création de Chtam et à une stratégie de mobilisation efficace », souligne Perrine. « Bon anniversaire ! Don fait. Merci de nous rappeler de penser aux autres » peut-on lire dans les commentaires de la publication de Math qui explicite les enjeux de la collecte.
Preuve, s’il en fallait, que les créateur·ices de contenu ont une grande force de mobilisation. Au-delà de la taille de leur communauté – plus de 130 000 abonné·es sur Instagram pour Math –, c’est la singularité avec laquelle chacun·e aborde un sujet qui permet d’emporter l’adhésion.
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Alors si tous·tes les créateur·ices de contenu prenaient la parole sur le climat, sans doute des millions de personnes passeraient-elles à l’action. Pour participer à une collecte, mais aussi pour rejoindre une manifestation, changer d’alimentation ou interpeller des politiques. « Cet enjeu de sensibiliser les influenceur·euses, c’est quelque chose dont on parle depuis très longtemps dans les milieux engagés » acquiesce Perrine.
C’est donc positivement que la manager a répondu à l’invitation de l’association La Fresque du climat qui souhaitait organiser un atelier de sensibilisation à destination des influenceur·euses. Elle propose ainsi à Benjamin Gault, Elodie Rencker, Léa Choue, Pierre Rouvière, Bettina Zourli, Matheo Gabon et d’autres de se retrouver le 13 mars dans les bureaux parisiens de l’association.
Les influenceur·euses passeront la journée dans un cadre intime et bienveillant autour d’un programme en deux temps : le matin, des prises de parole de Mathilde Caillard (@mcdansepourleclimat), techno-activiste , Charlotte Polifonte (@mangeuse_dherbe), militante afro-féministe et cheffe végane, et Camille Étienne, activiste ; l’après-midi, une Fresque du climat. Récit de cette fabrique de l’engagement climatique.
Légitimité et responsabilité : les deux revers d’une même médaille
Au commencement était la peur. La conscience de sa responsabilité en tant que figure médiatique donne un sentiment de puissance autant que de vertige. Lola Antonilos-Richard (@lolasolia) a vu son nombre d’abonné·es monter en flèche après sa participation à la dernière saison de la Star Academy sur TF1. Alors désormais, lorsqu’elle prend la parole sur les réseaux, elle se sent responsable : « J’ai l’impression que tout ce que je vais dire est important. »
Mathilde Caillard (@mcdansepourleclimat) abonde en ce sens : pendant les manifestations contre la réforme des retraites en 2020, elle devient « un meme suite à une vidéo de danse qui a beaucoup circulé ». Sur les réseaux, elle passe d’« une petite communauté très sympa » à des dizaines de milliers d’abonné·es. « Ça a été particulier de perdre le contrôle de mon image. Je me suis dit : si je ne parle pas, si je reste une image qui danse, je vais manquer l’occasion de faire passer des messages. »
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En plus de ce sentiment de responsabilité, nouveau pour les influenceur·euses qui n’ont pas grandi avec leur communauté, il faut affronter la crainte du manque de légitimité. Un sentiment renforcé par la véhémence de certains commentaires qui peuvent conduire au silence : « Pour une micro-erreur je m’en suis pris plein la gueule pendant trois jours » regrette Math, rejointe par Mathilde : « Quand on t’attaque tu n’oses plus prendre la parole, ça te silencie ».
Les reproches ne viennent pas seulement d’abonné·es peu amènes ou de détracteurs. Dans les « milieux engagés » aussi, on pointe du doigt les influenceur·euses qui ne s’engagent pas assez. Or « afficher les influenceur·euses, ça ne fait que les braquer » prévient Perrine. Les pousser à porter un plaidoyer ne fonctionne pas non plus : « Leur imposer de prendre une posture parfois moralisatrice ou solennelle, je pense que c’est leur enlever une partie de leur personnalité, ce qui fait qu’aujourd’hui, ils/elles ont de l’influence. »
La peur, levier d’action ?
D’autant qu’à la peur que suscite la responsabilité ou le manque de légitimité s’ajoute celle que peut générer le changement climatique. Une peur qui amène bien souvent à fermer les yeux sur la situation, quand ce n’est pas tout bonnement à la nier. Pour Camille Étienne, le rempart contre la peur, et donc contre l’inaction, c’est la conscience de sa puissance. D’abord car, souligne-t-elle, les réseaux sociaux sont « un outil de mobilisation super puissant ».
Évoquant les batailles qu’elle a menées aux côtés d’autres activistes, Camille martèle ainsi le rôle qu’ont joué les réseaux dans ses victoires. Une importante circulation des contenus peut en effet amener des sujets à s’imposer dans l’agenda médiatique. Et c’est parce que des influenceur·euses abordent ces sujets à leur manière qu’une telle viralité est possible. Alors « ne doutez jamais de votre puissance et d’à quel point vous pouvez faire changer les choses », encourage Camille.
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La force de conviction des influenceur·euses et activistes vient aussi de l’émotion avec laquelle ils/elles abordent leurs sujets. Comme Charlotte qui, par la nourriture, traite de sujets décoloniaux et féministes : « en associant le plaisir à plus de conscientisation », elle arrive à « perturber les gens » dans leurs croyances. Et souligne avec malice la puissance qu’elle tire à construire son propos : « Je me sens comme dans une salle de commandes et j’essaie des boutons ».
Dès lors, au moment de commencer la Fresque, chacun·e se sent investi·e d’un rôle. Un rôle à soi dans un collectif qui se construit, favorisé par l’émulation. Car malgré la diversité des personnalités on distingue une curiosité, un certain goût du jeu en commun. À tel point que l’animatrice est épatée par les premiers pas des influenceur·euses : « Franchement vous êtes bons hein. J’ai 220 ateliers derrière moi, c’est la première fois que je vois ça. » Mi fier·es mi goguenard·es, les influenceur·euses poursuivront l’activité.
« En gros Squeezie c’est le Jancovici des réseaux »
Pour la conclure, les participant·es évoquent leurs espoirs et leurs doutes. Car après avoir travaillé pendant trois heures sur les causes et les conséquences du changement climatique, les émotions pèsent lourd. Pour certain·es, elles sont négatives : Lola et Pierre ressentent de la colère. Chez d’autres, comme Bettina (@jeneveuxpasdenfant), c’est la joie qui domine. La Fresque a enthousiasmé la jeune femme : « De voir cet outil incroyable, moi ça me donne de l’espoir. Je vois de vrais leviers simples en fait, c’est hyper accessible ».
Les leviers, les influenceur·euses en prennent aussi conscience lors des échanges conclusifs avec la formatrice. Benjamin (@benjigault) admet ainsi : « Je pense qu’il y a des sujets dont j’avais pas envie de parler parce que je pensais que c’était pas mon rôle ». Léa (@leachouee) renchérit : « Ça me fait prendre conscience qu’il y a des choses que je n’abordais pas, par habitude, et c’est cool de se rappeler que c’est important et qu’il faut en parler. »
Certes, les influenceur·euses présente·s ce jour-là n’ont pas la communauté d’un Squeezie (« C’est qui Squeezie ? » demande l’animatrice – « En gros Squeezie c’est le Jancovici des réseaux » explique Mathéo, @matgab_). Pour autant, ils/elles sont prescripteur·ices et peuvent faire bouger les choses : reste à (faire) prendre conscience des intérêts de tous·tes à s’engager : « On a besoin de vous » dit Camille avec force.