Qu’est-ce qu’être jeune et militer pour le climat ? Quel regard a-t-on sur les autres générations, et sur les autres luttes sociales ? On leur a posé la question, à l’occasion d’une conférence organisée par le collectif On Est Prêt et Pioche! au festival de Dour l’été dernier.
Cet article est issu de la (très belle) revue respect 04, éditée par Groupe SOS, et consacrée à la jeunesse engagée, dont Pioche! est partenaire.
Quand le festival de musiques alternatives de Dour (Belgique) et la rédaction de Pioche! s’associent, cela donne des étincelles. Et en l’espèce, quatre jours de conférences sur une ambitieuse nouvelle scène, The Square, où artistes et collectifs engagés ont eu carte blanche pour défendre un sujet important à leurs yeux.
Exemple parfait en ce deuxième jour du festival, avec une carte blanche confiée au collectif On Est Prêt. Thème retenu de cette grande table ronde : la jeunesse qui s’engage avec autour de la table, notamment, Adélaïde Charlier, 21 ans et représentante de l’ONG Youth for Climate, et Victor Auburtin, 18 ans, du mouvement On Est Prêt.
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À l’occasion de la publication de la revue respect 04, dédiée à la jeunesse engagée, et publiée par le Groupe SOS le 20 décembre dernier, cet échange a enfin pu être retranscrit. Le voici donc désormais proposé à la lecture.
Pourriez-vous vous présenter rapidement, et indiquer le mouvement dans lequel vous êtes engagé·es ?
Victor : Je m’appelle Victor, j’ai 18 ans et je suis porte-parole jeune de On Est Prêt, qui est un mouvement de mobilisation des citoyens.
Adélaïde : Moi, c’est Adélaïde, j’ai 21 ans. Je suis membre du mouvement Youth For Climate. Je me considère comme activiste pour le climat et les droits humains.
Vous avez un point commun, c’est votre jeunesse. Qu’est-ce qui vous a amené dans votre parcours de vie à vous engager ? Comment en vient-on à passer tout son temps libre à militer ?
Victor : C’est arrivé progressivement. Je pense que le mouvement des grèves pour le climat a vraiment influencé mon rapport à l’engagement, et j’ai vraiment voulu m’engager là-dedans. Ensuite, une fois qu’on a mis le pied dedans, c’est très difficile de ressortir.

Adélaïde : Ça a commencé par la proposition de certaines personnes d’aller à une première marche. J’étais un peu stressée, j’ai raté les cours une fois et en fait, une fois là-bas, j’ai été poussée dans cet élan. J’ai fini par faire grève pendant vingt semaines consécutives, et j’ai commencé à organiser des grèves.
Vous sentez-vous appartenir à une « génération climat » ? Que pensez-vous de cette notion qui revient souvent dans les médias ?
Adélaïde : La jeunesse d’aujourd’hui est peut-être plus consciente des enjeux climat, mais l’urgence est aussi bien plus présente. Ce serait encore plus effrayant que notre génération ne se mobilise pas alors qu’elle va continuellement devoir faire face à ces conséquences.
On sera toujours le radical de quelqu’un et le modéré de quelqu’un d’autre
Mais toute notre génération n’est pas éveillée. C’est là où nous avons un énorme travail à faire, comme partie de la jeunesse prête à se bouger et à aller déranger, pour réveiller le reste de notre génération, et les autres aussi. Il y a des personnes éveillées dans toutes les générations. On travaille énormément avec les grands-parents pour le climat par exemple.
Victor : On a beaucoup diabolisé les générations précédentes. Évidemment, elles ont leur part de responsabilité. Mais aujourd’hui, même si on est engagé·es et conscient·es, en tant que jeunes et de l’Occident, nous sommes celles et ceux qui consomment le plus, qui utilisent le plus d’énergie.
Notre génération a commencé à prendre conscience du climat, mais pas plus vite qu’une personne qui appartiendrait à une autre génération et serait aussi très intéressée par le sujet. Toutes les générations peuvent nous rejoindre dans la lutte. Et même si nous vivrons probablement plus longtemps, on a tous·tes notre pierre à apporter à l’édifice dans cette lutte.
Vous appartenez à des mouvements jeunes distincts, avec des approches différentes en termes de radicalité. Quels sont vos liens et comment vous coordonnez-vous ?
Victor : On sera toujours le radical de l’un et le modéré de l’autre. Aujourd’hui chaque solution proposée est, dans une certaine mesure, radicale, dans le sens où l’on propose de changer diamétralement la société. Que ce soit avec des actions de désobéissance civile comme le fait Dernière Rénovation, ou à travers de nouveaux récits.
On doit taper avec différents marteaux sur le même clou.
Adélaïde : Il y a énormément de mouvements, d’organisations, d’individus. C’est un peu complexe, même entre nous, c’est difficile de s’y retrouver. Mais le but est évidemment de collaborer, en sachant aussi que chacun d’entre nous amène sa propre manière de s’engager. On arrive donc à toucher différentes personnes et de manière assez différente. En attendant, on est obligé·es de se retrouver sur des messages. On doit taper avec différents marteaux sur le même clou.
Dans ces moments-là, il faut que l’on parle, que l’on communique et ça se fait énormément à un niveau international. Parfois, on fait tous une action et ça se fait dans 160 pays différents à travers le monde. C’est une coalition de désobéissance civile où l’on se retrouve avec énormément de mouvements, énormément d’ONG, et pas seulement dans l’environnement. La gauche anticapitaliste, il y a les Gilets jaunes… Il y a énormément d’autres mouvements qui sont dans les rues de base, pas seulement pour l’environnement.
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Vous coordonnez de gros mouvements, c’est un engagement important. Réussissez-vous à poser parfois la casquette de militant pour faire une pause, prendre du recul ? Votre engagement a-t-il des conséquences sur les relations avec vos amis, votre famille ?
Adélaïde : Je ne porte pas un mouvement, c’est tout un mouvement qui se porte. Je ne mets pas ma casquette d’activiste le matin, c’est vraiment ce que j’ai au fond de moi et ça sort, naturellement. Et là est le dilemme constant, entre l’information et l’action. En fait, je n’arrive pas à lire un rapport du GIEC et continuer ma vie en tant qu’ado, faire la teuf… C’est impossible. Je ne peux pas être conscientisée, et ne pas me lever, ne pas résister.
Je n’arrive pas à lire un rapport du GIEC et continuer ma vie en tant qu’ado, faire la teuf
Victor : On se bat contre un système, je ne vais pas pas me battre contre des individus en face de moi. J’essaie de ne pas faire culpabiliser les gens parce que, moi aussi, je me suis beaucoup auto-culpabilisé. Parfois, je m’énerve, mais j’essaie d’être vraiment dans une communication non violente. Il faut que tout ça se déroule dans une démarche joyeuse et positive. Il ne faut pas que l’on soit dans l’autoflagellation, dans la haine envers soi-même, parce que l’on ne vit pas complètement en adéquation avec nos valeurs.
Adélaïde : Une question qui revient souvent c’est : « est-ce un marathon ou un sprint ? ». Moi, je pense que c’est une course de relais. Je ne vais pas organiser des manifestations toute ma vie. Par contre, je vais être engagée d’une manière ou d’une autre toute ma vie. Mais avant de lâcher, je dois trouver d’autres jeunes qui peuvent prendre le relais derrière.
Comment faites-vous pour mobiliser au-delà des cercles de convaincus, pour parler à l’ensemble de la jeunesse ? Est-ce un sujet dans vos mouvements et comment l’adressez-vous ?
Victor : Le climat, ou la biodiversité, pour beaucoup, ça ne leur parle pas parce que c’est très théorique, jusqu’à ce qu’on le constate de ses propres yeux. Je pense à ma mère qui, quand elle était jeune, vivait dans un milieu ouvrier, et qui a commencé à avoir un lien avec l’environnement, avec la biodiversité, en retournant en Algérie voir sa famille dans un milieu rural.
Il y a beaucoup de gens qui constatent cela en rentrant dans le pays dont ils sont originaires, en voyant les changements par rapport à ce que leurs parents ont vécu. Une partie de leur famille vit la désertification, l’extinction de la biodiversité, la montée des eaux, l’infertilité des sols aussi, qui est vraiment une énorme problématique sur toute la bande sud du Sahel et de plus en plus en Asie. Ce sont des thématiques qui pourraient aussi mobiliser davantage.
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Adélaïde : Il y a aussi énormément de jeunes qui sont engagé·es dans des milieux très différents, et dans différentes classes sociales. Mais on ne leur offre parfois juste pas la possibilité de s’exprimer. Ces jeunes ont des choses à dire, et savent ce qu’elles et ils disent, il faudrait juste partager notre espace.
Victor : Pour moi, c’est la sensibilité à l’environnement qui m’a mené vers la lutte contre les inégalités, le capitalisme, le racisme systémique, et les inégalités de genre. Mais inversement, cette lutte contre ce système de privilèges de quelques uns complètement injuste pourrait peut-être mener, de fil en aiguille, à mieux comprendre pourquoi cela a aussi détruit la planète.
On a parlé des nouveaux récits. Je pense que les nouveaux récits pourraient vraiment amener de l’environnement aux luttes sociales ou, à l’inverse, des luttes sociales à l’environnement.