Digne héritier de la French Touch, le Marseillais Simon Henner alias French 79 a réussi, en trois albums et autant de tournées, à conquérir les salles et les cœurs à grands coups de synthés saturés, de kicks rebondis et de mélodies pop. Un succès qui lui donne les moyens de renouer, sur scène et sur disque, avec son amour de toujours pour la nature et la protection de l’environnement. Rencontre.
Du Marseillais French 79, on connaissait les riffs de synthés accrocheurs, les dancefloors brûlants et ces quelques 100 salles remplies lors de sa dernière tournée. On savait compter sur cet ancien membre du groupe d’électro-rock Nasser pour entraîner tout un public dans sa fougue. Et sur ses mélodies pop qui ont façonné les hits « Lovin’ Feeling » ou « Diamond Veins » pour planer le sourire aux lèvres.
Il aura fallu l’inviter au 2030 Festival, l’événement écologique et citoyen co-organisé par Pioche! à Montpellier courant septembre, pour prendre la mesure de son engagement pour la planète. À sa manière, sans grands discours dans la presse, Simon Henner, de son vrai nom, adopte une scénographie recyclée et économe, compense les émissions carbone de ses voyages en avion, et, surtout, distille dans sa musique son amour de la nature.
Soudain, tout s’éclaire. Ce sont les horizons infinis et les hauteurs escarpées qui nourrissent ses morceaux de cette vibe épique et nostalgique. Voici aussi pourquoi ses musiques accompagnent tant de vidéos et documentaires traitant de la crise écologique. Quoi de plus logique, finalement, pour cet enfant des montagnes, cet amoureux de voile et de courses en forêt.
En réécoutant son troisième et dernier album Teenagers (2023) – à classer entre les disques de Rone, Kavinsky et Jean-Michel Jarre, dont il a d’ailleurs utilisé les illustres synthétiseurs – on réalise ce qui fait la force de celui qui fut, un temps, prof de musique dans les quartiers Nord : l’art de transmettre ses émotions et son goût des voyages en solitaire sans cesser d’être un musicien, tout en restant lui-même.
C’est un fait qui n’est pas très connu te concernant, mais au départ, tu es ingénieur en environnement. Qu’est-ce qui t’a donné envie, à 20 ans, de partir étudier l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement à Marseille ?
French 79 : Je suis né dans les Vosges, dans la forêt, et j’ai ensuite grandi une bonne partie de ma vie à Chamonix. J’ai toujours bien aimé ça, aller dehors, prendre l’air. Alors quand tu as 20 ans, et qu’on te demande ce que tu vas faire toute ta vie, moi, j’ai tout de suite voulu quelque chose en rapport avec la nature. Et ne pas être enfermé dans un bureau.
« J’utilise du matériel recyclé pour ma scénographie. Je verse 10% à la Fondation Good Planet dès que je prends l’avion. Après, je ne peux pas ne pas tourner, tu vois ? »
Après cette école, je me suis retrouvé à faire mon premier travail, au Maroc, à Essaouira, sur la protection de la forêt de thuyas. Et ça ne m’a pas plu du tout, parce que j’étais dans un bureau pour faire de la recherche definancement, ce genre de choses. Finalement, je passais ma journée devant un ordinateur alors que je ne rêvais que de voyages, de planches à voile, de montagne.
Donc j’ai arrêté, j’avais 23 ans. J’ai passé le concours pour être prof, ce que j’ai été 5 ans à Marseille. D’abord instit’, puis prof de musique au collège dans les quartiers Nord. La musique est venue assez rapidement ensuite, jusqu’à prendre le dessus. Depuis 10 ou 15 ans, je ne fais plus que de la musique.
À cette époque, tu as un premier groupe qui s’appelle Nasser avec Nicolas Viegeolat, et musique et écologie ne fonctionnent pas forcément de pair. Quand est-ce tu arrives à faire la jonction entre ton penchant pour l’environnement et la musique ?
Il n’y a pas si longtemps en fait, quand j’ai commencé à avoir les moyens de le faire. L’environnement, pour moi, c’est vraiment quelque chose à considérer au sens large, moins les petits gestes que ne pas changer sa voiture tous les deux ans.
Par exemple, j’essaie vraiment de ne travailler qu’avec des gens qui sont autour de moi. Manger des fruits et des légumes qui viennent d’à côté. Et dans ma tournée depuis 4 ou 5 ans, j’ai pu me permettre d’imposer une scénographie entièrement recyclée, avec des LED qu’on recycle et de l’aluminium recyclé.
Je veux aussi absolument rester dans la musique indépendante. J’ai toujours refusé d’aller chez Universal. Je refuse d’être chez Live Nation. Je suis sur un petit label indépendant à Marseille (IN/EX, ndlr.), un éditeur qui est quand même relativement gros (Alter-K ndlr.), mais qui reste un éditeur indépendant. Voilà, tous ces petits trucs-là, moi, ça me plaît.
Cette année, le festival marseillais Le Bon Air annule la date de l’artiste I Hate Models car il a deux dates dans la même soirée qu’il veut relier en jet privé. Quelle est ta position sur ce sujet ?
Nous, ce qu’on fait, c’est que pour toutes les dates isolées que l’on fait en avion, on reverse à une fondation qui s’appelle Good Planet. Ils ont un petit calculateur, et pour un Paris-Mexico par exemple, indique ce que l’on peut reverser pour compenser son empreinte carbone. Ce n’est pas grand chose je sais, mais ça doit représenter 10% de ce que je gagne de la date.
On s’était d’abord posé la question de ne plus prendre l’avion, mais on n’en est pas encore à annuler des dates. En tout cas, j’essaie de faire de mon mieux. Je vais au vélo en studio, mon label est à 100 mètres de chez moi. J’essaie d’utiliser du matériel recyclé pour ma scénographie. Je verse mon petit 10% à la Fondation Good Planet dès que je prends l’avion. Après, je ne peux pas ne pas tourner, tu vois ?
Quand t’as galéré pendant 10 ans à faire des concerts dans la MJC, puis à la fête de la musique, et qu’un jour, on te propose de partir jouer à Mexico, c’est quand même un petit peu dur de dire : « Ah non, moi, tu comprends, je vais jouer à la MJC parce que je veux pas prendre l’avion ». Pour l’instant, je n’ai pas réussi à le faire.
Outre la production, as-tu un travail particulier dans ta musique pour y intégrer des éléments sonores naturels, une ambiance, un environnement, un paysage ?
Je n’ai jamais réussi à intégrer un son, comme un bruitage de petite rivière, dans ma musique, ce n’est pas trop mon truc. Par contre, avant de composer, j’essaie de partir à la montagne pour faire le tour d’un sommet pendant une semaine, ou de partir une semaine sur mon bateau. Et quand je reviens, je vais tout de suite au studio et j’essaie de retranscrire ce que j’ai vécu dans ces moments de nature. Ça fait complètement partie de mon inspiration, c’est sûr.
« J’adore essayer de retranscrire une émotion que j’ai vécue dans la nature par des petits détails de composition »
Ce qui me permet de pouvoir aller m’enfermer pendant quatre jours au studio sans voir la lumière du jour, c’est vraiment d’avoir passé cinq jours dans le Cantal à faire du parapente. J’aime bien être tout seul en montagne ou en voilier, j’aime bien être solitaire. Et quand je reviens, je suis capable de m’en servir pendant plusieurs jours en studio, parce que j’ai des images plein la tête.
En fait, je m’aperçois que je ne regarde que des films de montagne et d’aventures, ce genre de choses. C’est quand même ça qui m’inspire et me nourrit.
Est-ce que tu aurais un morceau en tête où cette mélodie, ce son, c’est le son du vent dans la voile de parapente, ou le lever de soleil sur une mer calme ?
Le morceau « Teenagers », sur mon dernier album par exemple. J’étais reparti chez mes parents dans les Vosges, et je suis parti courir avec ma tente sur le dos. Je suis repassé par plein d’endroits de mon enfance, où j’ai commencé à faire de la planche à voile sur les lacs, mes premiers mini-sommets, du ski de randonnée avec mon grand-père. J’ai repensé à tout ça, et c’est ce morceau-là que j’ai fait en revenant.
Ce qui est bizarre, c’est que ma musique est principalement instrumentale, donc sa signification est très personnelle. Pas évident de dire que cette chanson, c’est une tempête que j’ai vécue à la montagne. Celui-ci, c’était deux jours seul sur mon bateau dans un endroit paradisiaque. Je le raconte par mes suites d’accord. J’adore essayer de retranscrire une émotion que j’ai vécue par des petits détails de composition.
Tes morceaux ont servi de bande originale à de nombreuses vidéos d’associations et de documentaires engagés pour l‘écologie. Pourquoi trouve-t-on ta musique sur tous ces sujets ?
C’est quelque chose que j’ai demandé à mon éditeur. Quand la cause est la protection de l’environnement, de la planète, de l’écologie, ou des choses sociales, si l’on me demande d’utiliser une chanson gratuitement, que ce soit fait. Et normalement, cela coûterait beaucoup d’argent.
Et c’est vrai qu’au final, beaucoup de mes musiques sont utilisées sur des documentaires ou des vidéos d’ONG. Même pour certaines qui sont financées par l’Europe, et qui ont des millions d’euros pour faire ça. Mais je préfère qu’ils mettent ces sous dans une paye pour un gars qui va ramasser du plastique.