Pour accélérer leur transition écologique, les festivals s’attaquent à l’épineuse question des mobilités qui représentent 80% de leur empreinte carbone. Les résultats de la première étude nationale sur le sujet pointent le poids des représentations sociales de la voiture dans le choix des festivalier·es et identifient quelques pistes pour changer l’image des transports en commun, de la marche et du vélo.
Il y a un an, une cinquantaine de festivals français se réunissaient autour du projet « Festivals en mouvement » avec un objectif : accélérer la transition vers des mobilités durables. Après une saison d’expérimentations dans les festivals au printemps-été 2023, puis 48 heures de marathon créatif en novembre, les résultats de la première étude nationale sur le sujet sont désormais disponibles.
Réalisée par les chercheur·ses de la coopérative Sociotopie, cette « Enquête sur la mobilité des publics et équipes » s’appuie sur les données collectées d’avril à octobre, dans 44 festivals partout en France, tous membres du collectif R2D2 rassemblant les réseaux régionaux dédiés à la transition écologique des évènements. On retrouve ainsi dans le panel les Nuits Secrètes, le Festival de Thau, le Bordeaux Open Air, ou encore le Dub Camp Festival.
Voiture un jour…
Le principal constat de l’étude concerne l’omniprésence de la voiture dans les choix de mobilité. Pour parcourir les 70 km qui séparent en moyenne le domicile du festival, 59% des festivalier·es et des équipes empruntent la voiture thermique, 13,7% le train et 10% la marche ou le vélo.
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Sans surprise, cette répartition varie en fonction du territoire du festival. L’usage de la voiture descend à 50% en milieu urbain et grimpe à 82% en milieu rural, Et certaines régions, comme la Bretagne, se distinguent par leur public de proximité – avec plus de 60% du public et des équipes habitant à moins de 30 km du lieu du festival.
Mais contrairement aux trajets quotidiens, les festivalier·es ne prennent que rarement la voiture seul·es et le covoiturage informel reste la norme. Ainsi, même si seul 3,5% des festivalier·es déclarent avoir eu recours à une plateforme de covoiturage, 43% des conducteur·ices ont transporté 2 passager·es ou plus, et l’autosolisme ne concerne que 11% des véhicules.
…voiture toujours ?
Les chercheur·euses de Sociotopie se sont intéressé·es aux facteurs déterminant le choix de la voiture. Un choix qui n’en est souvent pas un : un quart des interrogé·es venu·es en voiture le justifie par le fait qu’il n’y a pas d’autres possibilités depuis leur lieu de départ.
Ce chiffre met en lumière la nécessité de développer les services de transport locaux. Une bonne partie des festivalier·es affirment d’ailleurs qu’une meilleure desserte près de chez elles/eux (25%), près du festival (14%), ou un dispositif type navette mis en place par le festival (15%), les inciteraient à utiliser les transports en commun.
D’autres conducteur·ices mettent en avant le manque de fiabilité, l’inconfort (promiscuité, irrégularité) ou encore l’insécurité des transports en communs. Face à ces représentations, plusieurs pistes d’action s’offrent au festival. D’un côté, rendre l’usage de la voiture plus contraignant à travers des stationnements moins commodes et des tarifs de stationnement plus élevés justifiés comme une « taxe carbone ».
De l’autre, assurer des services de transports en commun fiables et une communication précise pour assurer la confiance des usager·es, ingrédient indispensable au changement des comportements. Et sur ce point, les suggestions sont nombreuses : mise en place d’agents de sécurité pour lutter contre le sentiment d’insécurité, dispositif de navettes depuis la gare la plus proche et les hôtels locaux, service de location de tables, chaises ou barbecue sur place pour éviter le transport du matériel en voiture, mise en avant des contraintes de stationnement et des parcours de mobilités possibles sur les réseaux sociaux…
La praticité, la facilité et le plaisir
Toutefois, la mise en place d’alternatives plus pratiques et moins chères n’est parfois pas suffisante. Car dans le cadre des loisirs, les choix de mobilité des usager·es obéissent à des logiques particulières, privilégiant l’agréabilité, la simplicité ou l’ambiance festive à un calcul précis sur le coût, le temps de trajet ou l’impact environnemental du déplacement. Le facteur économique n’est ainsi déterminant que dans le choix des mobilités de 5% des festivalier·es.
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« Les activités de loisirs constituent un cadre spécifique, intrinsèquement associé à un sentiment de liberté, d’autonomie et de plaisir, et relié à une tendance individualiste, ce qui peut expliquer que les convictions écologiques soient délaissées pendant ce temps bien particulier » complètent les chercheur·euses.
Le mode de transport choisi est donc souvent celui qui réduit la charge mentale, en apportant maîtrise, autonomie, liberté et plaisir. Des qualités associées à la voiture dans l’imaginaire collectif.
Changer les imaginaires
Dès lors, les initiatives les plus pertinentes sont celles qui parviennent à changer les représentations autour des mobilités durables, en déplaçant ces qualités de la voiture aux modes de transport durables. Ainsi, le normand Biches Festival affiche un taux particulièrement élevé de personnes ayant emprunté le train (39%), expliqué en partie par les navettes gratuites et rapides mises à disposition entre la gare et le festival, empruntées par près d’un quart des festivalier·es. Une comparaison avec d’autres dispositifs de navette mis en place ailleurs permet à Sociotopie de supposer que le succès de la navette tient davantage à sa rapidité et sa facilité d’usage qu’à sa gratuité.
Aussi, même si le facteur économique n’est pas déterminant dans le choix des mobilités, les incitations par le prix peuvent s’avérer efficaces, particulièrement lorsqu’elles soulignent en négatif les coûts associés à la voiture. 46% des interrogé·es se disent prêt·es à adopter le covoiturage ou les transports en commun s’il existe une réduction tarifaire sur le ticket d’entrée au festival. De quoi encourager les initiatives à l’image du tarif spécial TER LIVE à 5 euros depuis toutes les gares des Pays de la Loire, mis en place pour le festival Au Foin de La Rue.
Les festivals, cheval de Troie des mobilités ?
Dans leurs efforts en faveur des mobilités durables, les festivals font aussi face au « poids de l’habitude », particulièrement prégnant dans le cas du vélo. Si une partie des réticences à la Petite Reine prend source dans le manque d’infrastructures – pistes cyclables, parking à vélo, douches –, l’étude pointe que 41% des festivalier·es déclarent qu’aucune mesure ne les aidera à envisager le vélo pour se rendre sur le site. Une donnée explicable, selon Sociotopie, par le fait que la grande majorité d’entre eux/elles n’utilisent pas le vélo dans leur quotidien.
En d’autres termes, ces festivalier·es n’ont pas de « capital mobilité » autour du vélo. Car « se déplacer n’est pas inné et nécessite des connaissances et des compétences », rappellent les chercheur·euses, dans la lignée de la sociologue Anaïs Rocci.
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La bonne nouvelle, c’est qu’en prenant le problème dans l’autre sens, les festivals apparaissent alors comme un lieu unique pour développer le « capital mobilité » des usager·es, à travers l’expérimentation et l’apprentissage de pratiques de mobilité qui ouvrent la porte à des changements de pratique plus larges. La mise en place de wagons festifs dédiés aux festivalier·es, de cyclo-parades, de convois piétons, d’une prime covoiturage ou de tout autre moyen capable de rendre désirable le train ou le vélo pendant le festival, peut donner l’idée, l’envie et la confiance nécessaire pour le faire au quotidien.
Les pistes de solution soulevées par Sociotopie, combinées à celles imaginées pendant le marathon créatif de novembre dernier, seront expérimentées dès le printemps 2024, partout en France, dans la cinquantaine d’évènements membres du projet « Festival en mouvement ».