Discussion avec Féris Barkat, co-fondateur de Banlieues Climat, slameur et influenceur au service d’une écologie populaire, accessible à tous.
« 20 ans et la débrouille ». Féris Barkat n’a pas choisi sa devise au hasard. Au top des « 30 under 30 » écolos du média NOWU, il utilise tous les moyens à sa portée pour sensibiliser au climat et diffuser une nouvelle vision émancipatrice de l’écologie. Avec son projet Banlieues Climat, il mobilise des jeunes des quartiers populaires pour l’écologie, tandis que ses tiktoks sur le permafrost ou les pénuries d’eau cumulent des centaines de milliers de vues. Pioche! l’a rencontré pour parler de son engagement, de son rapport à l’éco-anxiété et discuter du rôle de l’art et de la musique face aux crises écologiques.
Comment s’est passée ta prise de conscience écologique ?
Féris Barkat : C’est un prof de philo en Terminale qui a commencé à remettre en question l’idée de progrès, en parlant des limites planétaires et d’effondrement. C’est quelque chose qui m’a tout de suite interpellé, alors j’ai commencé à creuser le sujet dans mon coin, à m’informer. J’ai eu une phase d’éco-anxiété mais tout de suite, ce qui m’a intéressé c’est d’en parler autour de moi.
À lire aussi : Banlieues climat : une nouvelle « génération climat » qui parle d’écologie dans les quartiers
C’est un truc qui est très fort chez moi, une envie d’expliquer, de réexpliquer ce que j’ai compris. J’ai envie de partager toutes ces choses qu’on m’a caché pendant tellement de temps. Mes potes ne s’y intéressaient pas trop, alors un jour je les ai fait asseoir, et j’ai essayé de leur expliquer tout ce que j’avais appris sur le climat. Bon, ils n’ont rien compris, j’expliquais trop mal. Mais c’est ce qui m’a motivé à travailler pour me faire comprendre.
Et le fait de sensibiliser autour de toi à travers Banlieues Climat, ton compte TikTok ou tes conférences, ça a fait évoluer ton rapport à l’éco-anxiété ?
Au moment de ma prise de conscience, j’étais vraiment révolté, je n’avais plus qu’un seul objectif : parler du climat à tout le monde. Une sorte de dévouement inconditionnel qui était vraiment trop épuisant. Une fois j’ai diné avec JR, l’artiste plasticien, et pendant tout le repas je l’ai gonflé en boucle sur l’écologie et le climat. C’était dommage mais je pense qu’au fond cette phase est inévitable, les enjeux sont tellement énormes.
Maintenant j’ai l’impression d’être plus apaisé, plus calme, peut-être plus désillusionné. Je continue à en parler évidemment mais ma posture a changé. Mes projets me permettent d’être plus serein dans ma vie de tous les jours. Par exemple, j’ai recroisé JR il n’y a pas longtemps, on a parlé un long moment sans évoquer le climat.
Ce qui définit le mieux ma prise de conscience, c’est le concept d’écologie émancipatrice
Et puis on entend beaucoup parler de l’éco-anxiété, mais personnellement ce qui définit mieux ma prise de conscience, c’est le concept d’écologie émancipatrice. Grâce à l’écologie, je comprends mieux le monde qui m’entoure, ça m’a rendu plus curieux. En comprenant tout ce qui pouvait menacer notre futur, je fais plus attention à ma santé par exemple et ça m’a fait réaliser qu’il fallait se préserver. Aujourd’hui, l’écologie c’est aussi ce qui me permet de vivre et d’être indépendant, avec les conférences. C’est quelque chose qui me rend heureux.
Qu’est-ce qui t’as poussé à écrire le texte de La belle au bois brûlant et à passer par le slam pour parler d’écologie ?
J’avoue qu’au départ, je voyais surtout le slam comme un outil pour sensibiliser les gens. En complément des conférences qui s’adressent à la raison, je me disais que le slam pouvait s’adresser à la partie émotionnelle. C’est pour ça que j’ai écrit un slam sur la biodiversité, pour toucher un maximum de gens.
Mais plus j’avance, plus j’ai envie d’écrire pour moi. C’est peut-être égoïste mais j’ai besoin de partager ce que je vis, d’extérioriser des choses plus personnelles. Un truc un peu cathartique. Et plus généralement, j’ai envie de laisser une place plus importante à l’art, dans ma vie et dans mon engagement. Peut-être que j’idéalise mais j’ai l’impression que ça sera ma porte de sortie, une manière de trouver un équilibre.
La musique a une place importante dans ma vie. J’écoute beaucoup de rap, pour travailler, pour me détendre, pour tout. J’adore le Marseillais Zamdane, il a une vibe très mélancolique qui me parle beaucoup, mais j’écoute aussi Tif, Ziak, PLK… Ce qui me fascine surtout, c’est de rentrer dans leur univers à fond, de comprendre la profondeur des textes et tout. Dans le futur, j’aimerais d’ailleurs beaucoup réussir à faire des ponts entre l’écologie et le rap.
Est-ce que tu imagines à quoi pourrait ressembler un rap écolo ?
J’aimerais beaucoup réussir à faire des ponts entre l’écologie et le rap
Féris Barkat : Le rap globalement reste complètement décalé par rapport aux enjeux écologiques, c’est normal. Mais il faut voir comment c’est fait. Avec le recul, je me dis qu’un rap écolo au sens classique, caricatural, ça ne marcherait pas. Je pense plus à un rap conscient, engagé au sens général qui remet en question le rapport au temps, à la société, etc. Il ne faut pas parler des ours polaires quoi.
Et puis il faut respecter que la musique, l’univers que crée un artiste autour de lui, peut servir à s’évader de la réalité. Et ça c’est ultra-précieux pour beaucoup de gens. J’en fait moi-même l’expérience. Et des fois, parler d’écologie ou de sujets aussi graves dans ces espaces de liberté, ça peut être mal reçu.
Donc les artistes se retrouvent coincés entre l’envie de sensibiliser et celle d’aider les gens à s’évader de leur quotidien ?
Oui, c’est compliqué. Et on retrouve le même dilemme chez les youtubeur·euses et les créateur·ices de contenus. Tous·tes ont forcément une responsabilité pour ne pas promouvoir certains comportements, et puis je suis convaincu qu’il faut parler d’écologie de partout. Mais je pense qu’il faut quand même des lieux pour regarder la réalité en face, et d’autres pour s’évader.
J’aimerais travailler avec des influenceurs qui me plaisent comme Billy ou Inoxtag. Je pense qu’il y a une certaine sensibilité chez eux qui pourrait être déclenchée. Ça permettrait de parler d’écologie à un nouveau public et de profiter de ces espaces de divertissement pour interroger notre besoin de nous évader. L’ambition c’est de planter des graines à l’aide d’une maïeutique, un peu comme Socrate, en posant des questions qui remettent en question les habitudes, poussent les gens à s’informer sur l’écologie.