L’art contemporain s’empare de l’écologie à la Friche Belle de Mai de Marseille. Co-produite par la Fondation groupe EDF, l’exposition Âmes Vertes laisse le champ libre à une trentaine d’artistes et d’architectes qui travaillent avec et pour l’environnement. Au menu jusqu’au 1er juin : installations monumentales, photographies, tapisseries et sculptures qui alertent, bousculent et font rêver.
« Miroirs géants dans l’espace pour renvoyer les rayons solaires, recouvrement des glaciers par un matériau hautement réfléchissant, arbres synthétiques pour capter le CO2… » Sur une peau de vache suspendue par des cordes à un cadre en bois, les artistes Stéphanie Sagot et Suzanne Husky ont illustré à l’aquarelle des pratiques de géo-ingénierie envisagées pour lutter contre le dérèglement climatique. Le décalage entre le savoir-faire des tentures amérindiennes et l’absurdité des solutions techniques donne vie à une grande installation, ironiquement baptisée « L’aventure du Vivant : géo-ingénierie verte ».

Cette singulière planche pédagogique est exposée jusqu’au 1er juin à la Friche Belle de Mai de Marseille, dans le cadre de l’exposition Âmes Vertes : Quand l’art affronte l’anthropocène. En partenariat avec la Fondation Groupe EDF, la Friche met à l’honneur 22 artistes contemporain·nes et cinq architectes qui s’emparent des enjeux écologiques.
L’exposition se déploie sur deux plateaux – soit 1 400 m² – au cœur de l’ancienne manufacture des tabacs, mêlant installations, photographies, tapisseries, sculptures, maquettes architecturales… Autant de propositions artistiques qui bousculent notre rapport au vivant, nos modes de vie et nos idées du futur.
Les artistes face à l’anthropocène
« Cette exposition intervient dans un contexte où l’écologie n’a pas la cote et provoque beaucoup d’énervement », amorce le commissaire de l’exposition Paul Ardenne, spécialiste de l’art écologique. Avec Âmes Vertes, l’historien de l’art a fait appel à des artistes de tous âges et disciplines qui adaptent leurs créations à « l’anthropocène » – soit notre ère géologique actuelle, ainsi nommée par certains scientifiques en raisons des répercussions des activités humaines sur les écosystèmes planétaires.
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Chaque œuvre propose ainsi un regard sensible, empreint d’émerveillement, d’optimisme ou d’humour, d’ordinaire rares lorsqu’on aborde l’urgence écologique. De quoi former les contours de ce que Paul Ardenne présente comme une nouvelle « culture écologique ».

On retrouve par exemple la série Fongi de l’artiste-peintre Taisia Korotkova qui, après s’être interrogée sur « ce que pourraient être des portraits du XXIème siècle », a choisi de représenter des champignons dépolluants aptes à digérer le plastique. « Mes tableaux sont d’humbles hommages à ces espèces qui résistent malgré tous nos efforts pour détruire la planète », développe l’artiste russe.
Dans un autre registre, la photographe Alexa Brunet propose une série satirique imaginant le futur de l’agriculture. D’un humour distancié et furieusement efficace, elle met en scène un paysan clôturé devant une zone commerciale, des machines à polliniser au coton-tige, ou encore une foule de touristes impressionnée à la vue d’une fleur.

Qu’est-ce que c’est, l’art écologique ?
L’exposition brille par sa capacité à accueillir une pluralité de visions de l’écologie, cohabitant sans se contredire. De la tentation de l’ensauvagement incarnée par l’artiste Erik Samakh, qui se filme pendant trente minutes, en pleine forêt avec un masque de sanglier, jusqu’aux maquettes futuristes de la tour Hypergreen, projet de gratte-ciel écologique de l’architecte Jacques Ferrier.
« Les œuvres exposées ici font plus que simplement montrer, elles suggèrent des possibilités d’action concrètes »
« L’art écologique est un arc extrêmement large », analyse Paul Ardenne, également auteur de l’ouvrage Un art écologique. Création plasticienne et anthropocène (2019, Éditions Le Bord de l’Eau). Sur ce large éventail, on retrouve les artistes qui n’utilisent que des matériaux naturels ou recyclés, celles et ceux qui s’intéressent aux utopies éco-sociales, ou encore tous les artistes du soin « qui nous aident à prendre conscience de la fragilité de la condition humaine », selon Paul Ardenne.
En ce sens, on retiendra l’installation vidéo et les sculptures tirées de la Symphony for Absent Wildlife (Symphonie pour une vie sauvage absente) de Lucy et Jorge Orta. Depuis 2014, le couple organise des concerts de choristes coiffés de masques d’animaux, mettant en musique le chant d’espèces disparues ou menacées. D’une poésie percutante.
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Des artistes paysan·nes, artisan·nes ou scientifiques
En s’emparant des enjeux écologiques, les artistes exposé·es brouillent régulièrement la frontière entre l’art et l’agriculture, l’artisanat ou les sciences, jusqu’à se faire éthologue, brodeur ou apicultrice. Avec Corailartefact, Jérémy Gobé propose un projet art-science-industrie visant à protéger les barrières de corail avec un bio-textile inspiré des techniques de la dentellerie. « Les savoirs-faire traditionnels et l’art peuvent être des forces de proposition pour l’avenir », défend l’artiste qui adosse ses créations à un projet entrepreneurial.


La sculptrice Luce Moreau raconte avoir travaillé aux côtés d’apiculteur·ices pendant plusieurs années, avant de collaborer directement avec des abeilles pour ses œuvres. L’artiste détourne les plaques insérées dans les ruches pour proposer aux ouvrières des maquettes de systèmes utopiques bien humains, comme le Phalanstère de Charles Fourier. Il en résulte des sculptures de cire nées d’une collaboration inter-espèces, interrogeant la possibilité d’un monde commun. « Les œuvres exposées ici font plus que simplement montrer, elles suggèrent des possibilités d’actions concrètes », conclut Paul Ardenne.
Exposition « Âmes Vertes : Quand l’art affronte l’anthropocène », à la Friche Belle de Mai de Marseille jusqu’au 1er juin 2025. Billetterie et informations pratiques par ici.