Festivals, salons, Jeux Olympiques… L’organisation d’événements a été transformée en quelques années par l’urgence écologique. Mais du simple tri des déchets à la réinvention des modèles économiques en passant par les bilans carbone et les risques de greenwashing, le sport et la culture s’interrogent sur les manières de (re)placer les événements au service de l’intérêt général. Reportage au cœur des Journées de l’évènementiel éco-responsable 2024.
Quel est le matériau le moins impactant ? Quel type de déchets retrouve-t-on de plus en plus lors d’événements ? Dans quelle poubelle faut-il jeter les mouchoirs ? Les questions à choix multiple défilent sur le mur de la salle de la Métropole de Lyon. Encore frais et enthousiaste en ce jeudi matin, le public se prend au jeu du quizz et chaque réponse suscite son lot de bavardages. Oui, les déchets d’équipement électrique et électronique (DEEE) deviennent un véritable casse-tête sur les sites d’événements. Et le bois n’est pas si écologique qu’il en a l’air.
« L’écologie n’est plus ce petit bonus dont on s’occupe bénévolement le soir, une fois les enfants couchés »
Fin novembre, la huitième édition des Journées de l’évènementiel éco-responsable (JEER) a réuni à Lyon une centaine d’associations, d’entreprises, de fonctionnaires et d’élu·es impliqué·es dans l’organisation d’évènements culturels ou sportifs. Après une année marquée par l’organisation des Jeux Olympiques de Paris et un contexte économique tendu pour la culture, les participant·es étaient heureux·ses de se retrouver pour faire le point sur le futur de l’évènementiel. Toujours avec lucidité et une indispensable pointe d’optimisme.
« Le temps des pionniers, c’est fini »
Comment organiser des évènements socialement et écologiquement plus vertueux ? Autour de cette question fil rouge, les JEER 2024 donnent à voir le fourmillement d’initiatives qui transforme progressivement les évènements. Au micro se succèdent des présentations de Fairly score, « le nutri-score des événements », de Cubdo, distributeur d’eau pensé pour remplacer le plastique, ou encore des ambitieux projets européens de la salle lyonnaise Le Périscope destinés à réduire l’empreinte carbone de la musique live.
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« L’écologie n’est plus ce petit bonus dont on s’occupe bénévolement le soir, une fois les enfants couchés » se réjouit Paul Berthet, co-directeur de l’association Aremacs co-organisatrice des JEER aux côtés de la Métropole de Lyon. Pour témoigner du chemin parcouru, ce dernier retrace la longue histoire de son association fondée en 2004 par deux amis déterminés à nettoyer les sites de festivals jonchés de déchets, jusqu’à mobiliser aujourd’hui des centaines de bénévoles sur des événements partout en France.
En effet, l’éco-responsabilité dépasse aujourd’hui les bonnes volontés et s’impose par le haut dans les filières évènementielles. La Loi AGEC votée en 2020 a transformé en profondeur la gestion des déchets, les clauses d’éco-conditionnalité des subventions publiques deviennent courantes et les normes se multiplient, à l’image de l’ISO 20.121 « pour un événementiel responsable ». « Le temps des pionniers, c’est fini », résume l’éco-conseiller David Irle.
Le coût du changement
Au micro et dans les discussions informelles autour du buffet (végétarien et zéro déchet, bien sûr), ces réglementations sont saluées pour leur capacité à faire bouger les mastodontes du secteur. Mais les participant·es expriment également le besoin d’accompagnement face à ces normes. Tant pour financer les transformations – un festival de 3 000 spectateur·ices estime ainsi à 50 000 € l’écart entre l’offre d’une brasserie industrielle et celle d’une brasserie locale indépendante. Que pour éviter les fausses bonnes idées telles que la distribution de tote bags en coton bio, ces totem de l’éco-responsabilité qui doivent en réalité être utilisés 20 000 fois avant de compenser l’impact de leur production.
Dans un contexte économique fragile, symbolisé par la récente réduction de 73 % des subventions culturelles de la Région Pays de la Loire, le coût de l’éco-responsabilité ravive l’enjeu de justice sociale. L’importance d’être « sévère avec les puissant·es, et doux avec les fragiles », dans les mots de David Irle, qui invite tout de même l’audience du jour à « devenir des emmerdeur·ses qui poussent les murs de la réglementation ».
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« Comment je fais pour motiver mes collègues ? »
« C’est agréable de se retrouver entre convaincu·es mais comment je fais pour motiver mes collègues ? » interroge une voix dans la salle, accompagnée de murmures d’approbation. Pour Laura Vas, consultante spécialisée dans l’éco-responsabilité de l’événementiel d’affaires, il faut deux ingrédients-clés : « du temps et des indicateurs chiffrés qui montrent la progression ».
« On a été obsessionnel·les de nos impacts »
Lorsque l’ancien champion du monde du 800m Pierre-Ambroise Bosse et le fondateur du festival marseillais Le Bon Air Cyril Tomas-Cimmino révèlent amusés qu’« on vient de se rendre compte qu’on avait le même kiné », la discussion embraye naturellement sur la pertinence des ponts entre la filière culture et la filière sport. D’abord pour permettre à la première, globalement plus avancée sur l’éco-responsabilité, d’inspirer la seconde. Mais aussi pour tisser des coopérations fertiles, alimentées tantôt par l’esprit de jeu et de compétition du sport, tantôt par l’émotion et l’exploration des imaginaires collectifs propres à la culture.
De son côté, David Irle estime qu’un moyen d’avancer sur l’écologie est parfois… de ne pas en parler. Exemple à l’appui : l’offre végétarienne en festival se révèle parfois mieux acceptée quand elle est justifiée par la réduction des coûts et la simplicité logistique, plutôt que par l’argument carbone. Pour éviter le « retour de bâton » de plus en plus courant sur les sujets écologiques, il propose d’adopter un langage plus pragmatique, en « insistant sur les cobénéfices de la transformation et en chiffrant le coût de l’inaction ».
Passer au niveau suivant
« On a été obsessionnel·les de nos impacts, poursuit le co-auteur de l’ouvrage Décarboner la culture publié chez PUG. L’éco-responsabilité, c’est le niveau 1, maintenant, il faut passer au niveau 2 : la soutenabilité ». Contre les risques de greenwashing, ou de solutionnisme technologique, les JEER apparaissent ainsi comme un espace où envisager des transformations structurelles. Un temps pour imaginer une sortie par le haut face aux difficultés économiques et à la multiplication des aléas climatiques qui menacent les filières évènementielles.
En ce sens, l’association Aremacs envisage les choix liés aux déchets, à l’alimentation, à l’eau, à l’énergie ou aux transports comme des occasions de développer une « éco-responsabilité d’intérêt général » qui va au-delà de l’empreinte carbone ou de la pollution plastique.
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Dans la même veine, Eugénie Amoulé, chargée de mission prévention des déchets au sein de la Métropole Européenne de Lille, donne un exemple concret de ce qu’elle appelle un « indispensable changement de logiciel » : « Jusqu’ici, l’objectif au sein de la Métropole était de traiter le maximum de déchets pour un coût minimum. Aujourd’hui, on dépense de l’argent pour réduire les déchets. ». On retrouve le même appel à « repenser complètement la manière de travailler » du côté de l’association Cagibig qui veut faire de la mutualisation le principe fondamental de la gestion du matériel événementiel.
Grands dilemmes
Mais ce changement de modèle ne peut faire l’impasse sur certains dilemmes brûlants. Quelle taille d’évènement ? Pour quels publics ? Faut-il viser la croissance ? Est-on au service de l’attractivité économique du territoire ou de son habitabilité ? « Quand on voit tous les petits clubs associatifs qui galèrent à financer trois maillots, dans un pays qui organise le plus gros évènement sportif mondial (les Jeux Olympiques, ndlr), on se rend compte qu’il y a des arbitrages à questionner », commente Paul Berthet.
En juin dernier, le festival Le Bon Air affrontait ce type de dilemme en déprogrammant le DJ I Hate Models à quelques jours de l’évènement, car l’artiste imposait sa venue en jet privé. « C’était très dur à prendre comme décision, on a flippé très fort », se souvient Cyril Tomas-Cimmino. La déprogrammation a finalement été bien accueillie par le public, ouvrant la porte à des renoncements similaires dans d‘autres évènements.
À la sortie de deux intenses journées de partage, les participant·es étaient invité·es à rejoindre le Réseau des évènements éco-responsables (REER), officiellement lancé quelques jours plus tard. Ce réseau est pensé comme un espace de rencontre, de formation et de plaidoyer ouvert à tous les acteur·ices des filières événementielle, culturelle et sportive. Indispensable pour continuer à avancer groupé·es en attendant les JEER 2025, à Lyon, Marseille et Bordeaux.