Paris, Marseille, Lyon, Martigues… Depuis près de dix ans, Yes We Camp revisite des espaces vacants au cœur des villes pour en faire, un temps donné, des zones d’expérimentations, de rencontres et surtout d’hospitalité. Grâce à une coopération renforcée avec les acteurs de terrain, l’association crée des lieux où le partage, la création et l’apprentissage se pensent à plusieurs. Rencontre avec Marion Tissot, architecte en charge de la coordination des chantiers et de l’aménagement d’espaces communs chez Yes We Camp.
Marion Tissot interviendra à la Paris Electronic Week lors du workshop « Demain, des événements tous upcyclés ? » programmé par Pioche! à la Gaîté Lyrique (Paris, 3e), le 23 septembre de 16h à 16h45.
C’est peu dire que Yes We Camp a fait du chemin. De la « mini-ville éphémère, artistique et écologique » créée en 2013 à Marseille pour l’été de la Capitale européenne de la Culture, à l’Académie du climat, qui vient d’ouvrir ses portes dans l’ancienne mairie du 4e arrondissement de Paris, cela fait 10 ans que l’association se distingue par ses réinventions de lieux vacants au cœur des villes.
Grâce à des partenariats solides avec de nombreuses associations et surtout une farouche volonté de faire bouger les lignes, Yes We Camp crée des espaces hybrides, pensés sur-mesure, où la multiplicité des usages favorise les rencontres et éveille les conscience. Sur place, les usages se croisent, combinant des fonctions sociales, économiques, artistiques et citoyennes. Un joyeux mélange qui favorise les rencontres, les interactions et les réalisations croisées.
Si chaque projet est unique, la philosophie Yes We Camp repose sur quelques piliers fondamentaux : l’écoute, l’hospitalité, la créativité et la force des cohabitations, la liberté collective et la joie. Beaucoup de joie. « Nous sommes animés par le désir d’un monde plus juste, plus vivant, plus heureux. Souvent, nos interventions concernent ou questionnent des situations difficiles, avec des sujets de société qui nous affectent. Mais leur mise en œuvre, dans la réalité du quotidien, révèle des satisfactions, et nous n’aurions plus de sens au travail s’il ne comportait pas une dose suffisante de joie, de fête et de douceur », écrit ainsi l’association.
Nous avons rencontré Marion Tissot, l’une des architectes de Yes We Camp, pour comprendre la spécificité de cette association référante du « faire ensemble ».

Comment avez-vous intégré la structure Yes We Camp et quel votre ton rôle au sein de l’association ?
Marion Tissot : J’ai une formation d’architecte et ai travaillé pendant quelques années en agence, sans trop y trouver mon compte. Je suis arrivé chez Yes We Camp un peu par hasard, grâce à une amie qui travaillait dans cette asso. Initialement, j’ai intégré l’équipe des Grands Voisins pour faire des dossiers d’ouverture au public. C’est un volet plutôt normatif mais très intéressant car ça répond à des questions qui reviennent souvent. Il faut bien connaître les outils juridiques pour pouvoir occuper temporairement des bâtiments en les ouvrant au public.
Progressivement, j’ai commencé à travailler à la coordination des aménagements aux Grands Voisins. À partir de là, mon métier s’est totalement transformé ! Avant, je faisais du dessin de plans, maintenant j’organise des chantiers, j’y participe et je coordonne le tout. J’ai un regard sur les matériaux qu’on utilise, je sollicite les personnes avec qui on fait, comment on fait et pourquoi on fait.
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Aujourd’hui, je travaille sur un nouveau projet dans le 13e arrondissement de Paris en partenariat avec l’association Aurore. On a un grand bâtiment qui appartient au port autonome de Paris dans lequel il y a plein d’espaces libres. Ce projet, Les Amarres, sera un lieu ouvert à différents publics avec des associations solidaires, une buvette et une programmation culturelle.
Aujourd’hui, Yes We Camp construit des projets de Paris à Marseille, en passant Roubaix, Bordeaux ou encore Nanterre. Comment se construisent ces projets ? Quelles sont leurs caractéristiques communes ?
On se retrouve tous sur des valeurs communes comme l’accueil, l’hospitalité et l’inclusion
Ce qui est intéressant dans cette structure, c’est qu’on réunit plein de corps de métiers. Il y a des artistes, des architectes, des cuisiniers, des personnes qui viennent du social etc. On vient d’horizons différents mais on se retrouve tous sur des valeurs communes – l’accueil, l’hospitalité, l’inclusion etc. – qu’on place au cœur de nos projets. Chacun de nous défend des valeurs sociales, de vivre-ensemble. Tous ces points communs, on s’en sert pour créer des espaces d’expressions pour des gens qui n’en ont pas forcément.
Après, chaque projet est différent. On n’est jamais seuls dessus, on travaille toujours en partenariat avec d’autres structures mais aussi avec des bénévoles, des occupants ou encore des riverains.
Le « faire ensemble » fait donc partie intégrante des projets menés par Yes We Camp…
Notre cœur de métier, c’est d’occuper ces interstices dans des bâtiments délaissés
Exactement ! Le faire ensemble s’applique depuis les moments
de conception jusqu’au déploiement puis la gestion du lieu. Dans les milieux urbains très denses, on trouve peu d’espaces pour les personnes vulnérables. Notre cœur de métier, c’est d’occuper ces interstices dans des bâtiments délaissés. On fait en sorte que des associations intègrent ces espaces et apportent du liant entre les personnes qui vivent autour. On travaille aussi beaucoup avec les institutions publiques pour que les projets perdurent. Dans les cas des Grands Voisins, toutes les structures ont retrouvé un hébergement ou ont intégré un nouveau projet porté par nos partenaires.
Ensuite, au sein d’un projet, on croit beaucoup à la force de la cohabitation entre des milieux sociaux-professionnels qui, d’habitude, ne se côtoient pas. Tous se retrouvent autour du faire et défaire ensemble et créent une alchimie particulière, un épanouissement né de ces rencontres.
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Un autre point fondamental : chez Yes We Camp, notre objectif est d’opérer une bascule d’attitude en dépassant la posture du consommateur, du client ou du bénéficiaire de services pour devenir un co-producteur local. C’est pourquoi tous nos projets intègrent des structures de terrain. Que ce soit à Paris, Marseille ou Roubaix, les gens qui s’investissent sur les projets connaissent les enjeux de leur territoire et ont tout intérêt à ce que ça change.
Pour pousser encore plus loin le curseur « acteur du changement », on a lancé un diplôme universitaire « Espaces communs : conception, mise en œuvre et gestion ». C’est une formation de 140 heures, réalisable sur 18 mois. L’idée, c’est de montrer que chacun peut être acteur de son environnement.
Aujourd’hui, de plus en plus de structures s’interrogent sur leurs pratiques afin de construire des projets en phase avec les enjeux environnementaux. Comment Yes We Camp aborde ces sujets ?
Impulser une démarche globale qui ne soit pas une solution pansement mais une manière de faire
D’une part, on travaille énormément sur le réemploi. Écologiquement, le bâtiment est un domaine dans lequel il y a beaucoup de travail. Ce secteur construit, détruit, reconstruit et produit énormément de déchets. Notre position est de dire : on fait avec ce qu’on a et on valorise la réutilisation, que ce soit avec les espaces qu’on occupe qu’avec les matières qu’on utilise. L’idée est d’impulser une démarche globale qui ne soit pas une solution pansement mais bel et bien une manière de faire.
D’autre part, les projets que l’on monte s’inscrivent exclusivement dans une logique de mutualisation des espaces et des équipements. La mise en commun, c’est une bonne façon de contrer l’accumulation de matériel, mais ça nous permet aussi de travailler sur la temporalité d’occupation. Dans les lieux que l’on suit, il y a plein d’espaces qui sont utilisés qu’une partie de la journée. Pour ne pas qu’ils restent vides le reste du temps, on les met en commun. La mutualisation est, très souvent, une solution hyper efficace pour réduire son impact sur l’environnement.